Rêve vaudou.

L’oiseau marque clairement l’endroit. Cela doit être un oiseau, un corbeau. Le corbeau tape le sol avec son bec. En donnant de petits coups il creuse la terre. A ce moment-là tu t’approches, parce que c’est évident qu’il faut s’approcher, saisir ce que le corbeau te dit. Disons que tu es intrigué, pour le moins. Au fond c’est plus que ça, puisque déjà tu écoutes un corbeau. Il a cessé de montrer l’endroit et il te scrute de son oeil sombre bordé de jaune. Tu hésites un peu, tu as peur qu’il s’envole, de n’avoir pas le temps. Mais il ne s’envole pas alors tu vas voir. Et lui ne recule que d’un mètre ou deux, il reste là, à t'observer. Tu n’y prêtes pas tellement attention : tu t’es agenouillé pour regarder. Ce n’est rien qu’un petit trou dans la terre sèche et nue. Tu creuses un peu, au cas ou. Mais à la main, tu ne progresses guère plus qu’au bec. Tu considères l’oiseau. Il semble te dire oui de la tête, mais tu n’es plus très sûr tout à coup. Après tout ce n’est qu’un oiseau et toi tu es en train de salir ton beau pantalon en creusant. Mais où trouver une pioche ? Le corbeau se met à rire bruyamment, il est clairement en train de se marrer, ce petit con. Tu te lèves et tu essuies tes genoux. Tu t’éloignes.


Submersible.

L’eau est rentrée de tous côtés, par-dessus, dessous, par les ouvertures et les failles, par les grands sourires et les silences, partout elle pénètre. L’eau a pris toute la place, a tout alourdi. C’est l’heure, capitaine, ferme les dernières écoutilles, pour une autre plongée dans les ondes troubles, vers les abysses sans limite. Là où il n’y a plus de lumière, ni de chaleur, plus de son, plus d’odeur. Là où il n’y a plus de vie. En lente dérive inutile et essentielle, emportée par les courants aléatoires et sans importance. Le temps continue sûrement, ailleurs, mais ici il n’est plus compté. L’espace lui-même c’est rétréci aux dimensions de l’unicité, un point dans l’abîme, à peine une particule, un tout petit vide de rien du tout dans le grand noir sidéral sidérant si attirant dans sa froideur virginale. Proche du zéro absolu, tout près du fond incommensurable et génial, à porté de souffle de l’électron enfin libéré. La non-existence ultime de l’être qui se noie.

Et puis une voix. Subtilement perceptible. Doucement lancinante, comme une douleur oubliée. Un frère humain chuchote, un oiseau peut-être, un albatros alors. Sans s’en apercevoir la terrible surface se rapproche. On aurait cru à l’effort de vider les ballasts qu’on se tromperait. Tout s’évapore lentement en un subtil brouillard remuant de vie. Les tempêtes attendent certainement le pauvre navire en déroute, il va falloir encore lutter, trouver quelque énergie de l’improbable vitalité résiduelle. Profiter des accalmies pour colmater les brèches béantes, repeindre la coque pour arriver au port comme dans la cour du lycée : pareil aux autres, rutilants et joyeux. Comprendre alors, dans certaines cicatrices, les expériences d’immersions totales ; s’en faire complice, en silence, pour se tenir chaud encore une heure. Tromper une fois de plus les haruspices plongeant dans nos propres entrailles, en prolongeant une pirouette absurde et sublime.

Insaisissables.

Le fil était invisible,
c’est le mythe d’arachnide au bout de sa corde, qui ne tisse que pour elle maintenant.
A la rosée, on pouvait l’entrevoir, en dentelles complexes
et puis il s’est évaporé avec le jour, il n’en est resté que le goût de la peau.
Le fil est invisible,
c'est le prix de la solidité au bout des cœurs, qui ne font des nœuds que pour mieux se souvenir d’eux-mêmes.
A la nuit tombée on se prend souvent les pieds dedans, en fantômes à l’humour lamentable.
Et puis on fait des bonds entre minuit et deux comme des chats d’opéra, habiles déjà à éviter le meilleur.
Il ne reste que le vide saisissant, d’une ligne de travers dans le ventre.
Le fil sera invisible encore longtemps pour exister dans les feux des yeux.
C’est la tragique histoire des bonheurs humains, qui ne seront que mieux demain.
A midi je m’en souviendrai encore, en mirage des ciels inquiets.
Et puis le chemin balisé marquera les pas d’une foule exsangue, en humides ensoleillements sur nos joues tendues à la caresse violente.
Il n’en restera que l’attente du pire.

Virage en droite ligne.

Les lièvres c’est un peu con, ça court en zigzag devant le danger sur lequel ils finissent immanquablement par tomber.
Balancer une balle qui rebondie entre les parois du couloir du point A au point B.
De loin ça fait de jolis dessins, agroglyphes sinueux dans l'herbe qui ne demande qu'à être tracée.
Les courbes d’un transatlantique : c’est chaque fois le même bordel à poser sur une carte plane.
Les retours à la case départ sans toucher que dalle.
Les sublimations en lavage à sec mais repassage vapeur.
Les virages, quoi, les trucs tout droits.
Les mirages, enfin, des paradigmes vertigineux.
C’est l’histoire sans fin d’un début que l’on atteint pas, les piétinements des chevaux au bord du circuit. Les peaux en tremblent d’excitation injustifiée.

Témoin

Toi qui a vu ce que même moi je n’ose regarder
oubli vite, il n’y a rien à faire de cette obscurité
il n’y a rien là-bas, que des champs de pierres.
Les pierres qui dansent, cela n’existe pas.
ni les fées ni les sorciers, ni cette réalité,
que seul un fou pourrait affirmer.

Ne t’imagines pas que je veuille t’en cacher
ou que, maternante, je choisisse de te préserver
il n’y a rien d’autre, que des champs de pierres.
Les pierres qui volent, cela n’existe pas.
C’est le tapis volant de ton dessin-animé,
le menhir d’une potion magique de BD.

Tais-toi, tu n’as rien pu remarquer
tu n’as rien entendu de singulier
il n’y a rien là-bas, que des champs de pierres.
Les pierres qui chantent, cela n’existe pas.
Même le vent ne croit pas aux sirènes d’été
alors cesse un peu de faire l’enfant entêté.

Si tu crois, c’est que tu t’es trompé
si tu doutes de moi c’est d’en avoir rêvé
il n’y a rien d’autres, que des champs de pierres.
Les pierres qui pleurent, cela n’existe pas.
C’est la pluie qui fait tout dégouliner,
rentre maintenant, tu vas finir par t’enrhumer.

Là-bas, il n’y a rien d’autre que des champs de pierres.
Et les champs de pierres, ça ne vit pas.

Chères escales.

Je suis restée sous le grand chêne de mon premier baiser,
là où l’herbe fraîche exaltait d'obscurs frissons.
Je suis restée dans la carrière aux milles secrets,
en équilibre sur les pierres affleurantes, à compter les libellules.
Je suis restée sur le parquet de la plage déserte
à hurler l’orage toutes portes ouvertes.
Je suis restée dans une chambre d’étudiant enfumée
en d’excessifs collages nocturnes.
Je suis restée près du lac gelé, dans les pâtures libres enneigées
et vierges, dans les éclats de rires injustifiés.
Je suis restée sur une colline d’un soir d’été,
entre les vibrations d’une pluie et celles des ombres broutantes.
Je n’ai plus assez de moi pour rester encore quelque part,
et je navigue encore entre les ports des hommes et les mers des femmes.

Chanson d’amour.

Je suis fille d’amour. C’est bien payé,
et sans danger pour la santé.
J’ai commencé par hasard,
grâce à un simple miroir
de poche.


Je suis fille d’amour de métier,
a Barbès, j’ai tout appris des sorciers.
Il suffit d’offrir de la dépendance,
le plus ancestral objet d’accoutumance :
soi-même.


Je suis fille d’amour et je m’ennuie,
rien à faire, pire qu’une fonctionnaire.
Même les étincelles dans leurs yeux,
ne me regarde pas, je suis juste
deux mains.


Je suis fille d’amour par réflexions,
en moi ni intérêt ni convictions.
Une toute petite distance à franchir,
la marque narcissisme pour accomplir
la contemplation.

Je suis fille d’amour et je n’existe pas.
Mes tours ne sont que de vulgaires appâts.
Les sorts sont placebos,
du sucre avec de
l’Ô.


Je suis fille d’amour, et de haine.


Je ne t’avais jamais dit adieu.

Quand l’orage est arrivé, on faisait encore des plans pour les vacances. Demain est tombé en trombes indémontables, sur nos corps nus habitués au bonheur. Que d’instants merveilleux et blancs, sans importance, nous ont été ôtés, par le tonnerre et les larmes du ciel. Les éclairs nous offraient le relief dont on ne voulait pas. Enfants lisses nous aimions nos cécités derrière les cartes postales. Quand l’orage est arrivé tu n’as pas crié, tu n’as pas pleuré. Tu as juste dit « On a qu’à faire comme si… ». Pourtant il me manquait les forces, tu le savais. C’était juste un instant de plus, le temps d’une phrase. Il a fait gris longtemps, après cet orage. Et souvent, en souvenir de toi, je satine consciencieusement mes aspérités. Bientôt je ne pourrais plus, mes excroissances poussent bien. J’ai la main verte et je tombe en émoi pour les fleurs de ma peau. Bientôt tu ne me reconnaîtras plus. L’orage aura fini par m’imprégner tout à fait. Mes humidités ne voudront plus de toi, de ta blancheur sèche. Et nous serons libérés de nous, enfin.

Non communiqué conditionnel.

J’ai hésité alors je me suis tu.
Comme toujours, comme tout le monde.
C’est l’expérience des mots de trop, un jour, qui laisse les autres dans la gorge
longtemps après.
J’ai pensé qu’il valait mieux pas. Parfois je devrais me passer de penser.
Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Certes non, je ne suis pas dupe.
Mais les mots, eux, sont restés là, coincés, tu, tués.
Lourds cadavres,
bien plus étouffants que ces mots maladroits qui ont fait mal.
Parce que les secrets continus à grandir, alors que les cris s’effacent.
Les mots ne se laissent pas si facilement enterrer, ils cherchent à sortir, à s’expliquer, à dire,
dire c’est pourtant si facile à taire.
De temps en temps même ils sortent, ailleurs, au mauvais moment, à la mauvaise personne –souvent la seconde, comme par hasard.

C’est pour cela que j’aurais dû les laisser sortir alors. Tout simplement.
Et peut-être m’aurais-tu entendu.
Au moins ça m’aurait évité de jongler avec ce temps que je maîtrise mal : le conditionnel.

Absent.

J’ai eu envie de te tuer.
Lacérer tes chairs de mes ongles blancs,
t'étouffer de mes mains sales.
Brûler ton venin.
Déchirer tes yeux, écraser ton visage,
noyer ta bouche, tes muqueuses sèches,
et te donner des coups de pieds, jusqu’à l’épuisement.
En silence,
j’ai pris tes entrailles entre mes ciseaux,
j’ai coupé en tout petits morceaux pour les jeter au vent.
Tu n’as rien retrouvé,
je n’ai rien perdu.

J’ai eu envie de te faire hurler, pour une fois.
Te donner un goût de vie dans la mort.
Te faire exister, enfin, du bout de ta douleur.

C’était bien.

Souris avant de mourir.

Oh ! Comment tu vis, comme tu as la bouche de travers.
Oh ! Comme tu restes distrait, comment tu t’évapores.
Tu cries encore tout bas, sous les planchers de tes impasses.
Tu te trahis quotidiennement, vautré dans ton regret en morceaux.
Insipide mort de constipé chronique,
un si petit morceau de néant immobile.
Pas encore assez gris, l’air encore en vie.
Passage en rétréci de tes rides vides.
Sous tes ciels lourds sans horizons,
tu ne connais même plus le vent.

Un jour je t’inviterai,
bientôt,
t’emporter un instant.
J’ai un masque d’élan, je te le prêterai volontiers.
Quand tu viendras, on ira voir la mer.
Tu n’auras pas envie, alors je te dirai que la mer a toutes les humeurs.
Nous ne dirons rien sur le trajet, tu entendras.
Je prendrai une glace, à la framboise.
Oh ! Comment je t’y noierai, comme le rouge t’ira bien.
Oh ! C’est une chance que l’on se soit rencontré, la mer et nous.