Des clouclous pour un écho.


Les plumes me tirent dans dans les pieds ;
C’est, c’était, c’eut été plus facile loin de toi.
Ca me semble, ça me semblait, c’eut été presque pareil
Loin loin de nos pas, en tête de page.
J’ai été, j’eus été à ta place, je serai ici.
Quand c’était dans tes bras, mon meilleur n’existait pas,
Il se perd inexorablement entre entre tes doigts, maintenant. Des poils noirs qui poussent à l’envers du sens de la caresse, même pas beaux,
sous sous les ciels de nos écarts de chat. Tu te souviens de ce toit, toi ? Un toit du dessus qui portait plus sûrement un nous que n’importe quelle adresse postale. Nos performances épistolaires sont ailleurs, on aime bien bien ça comme ça.
Et l’infini cours toujours plus vite que nos trains qui ont une fin, une gare, une station, une arrivée, eux. Comme c’est rassurant que ça n’existe pas, en vrai. Les vertiges éclatent trop bien les vitres du La Là La d’opérette, on risquerait d’y voir clair clair dans nos je.
Par besoin d’activité opérationnelle, je découpe des petits puzzles de soi tout doux, pour nos hivers à rallonge. Me manque plus que le feu de cheminée et la chaise à bascule.
Le duvet, aussi, se tire vers toi. T’es chiant à prendre toute la couverture quand je n’ai besoin que d’un drap.

La tragique histoire d'Olivier D.


C’est aux environs d’une heure du matin, par un beau vendredi d’automne, qu’Olivier Duremberg poussa son premier cri. Olivier est un lève-tôt, né vierge le jour de venus. Cette manifestation de son activité respiratoire primordiale fut un peu timide, mais vers midi le nouveau-né Duremberg affirmait nettement plus bruyamment sa venue au monde. Les premières semaines de sa vie, il déstabilisa sensiblement ses tous jeunes parents qui n’imaginaient pas qu’un si petit être puisse produire autant de décibels. Cependant, en toute objectivité, Olivier fut un nourrisson tout à fait supportable, faisant ses nuits avant l’age d’un mois. Ses poussées de dents furent un peu pénibles mais heureusement brèves. Il ne commença à marcher que vers quinze mois mais montra rapidement une aptitude remarquable aux différents tests psychotechniques mis à foison dans le parc Mickey. Il fut choyé comme tous les premiers enfants mais pas trop. Son enfance fut marquée par les grands événements de la vie de ses parents. La voiture neuve. Le nouvel appartement. Les vacances à la mer. Les rentrées scolaires. Ces premières années furent un peu difficiles pour le jeune couple. Est-ce ces petites frustrations du quotidien, attribuées à la naissance inattendue de l’enfant, qui détermina l’absence de fratrie ? Toujours est-il qu’Olivier Duremberg arriva tranquillement à l’adolescence, fils unique d’une famille relativement aisée. Papa faisait une belle carrière bancaire. Maman était institutrice. Le chien s’appelait Russel.

Olivier était un élève studieux, ordonné et soigneux, plutôt doué pour les sciences. Il eut un premier éveil amoureux vers l’age de six ans avec la petite voisine du second étage. Vers douze ans, Emilie Léant lui offrit un baiser sous le grand chêne du square de la Madeleine. A peu près à la même période il découvrit la sociologie à travers la théologie chrétienne puis occidentale. Ces années d’interrogation spirituelle furent assez brèves cependant. Vers seize ans déjà il relativisait grâce à Einstein et optait pour une filière scientifique. Les mathématiques élémentaires lui apprenaient qu’il adorait les femmes. A dix-huit ans il entra dans une école de communication pour laquelle il se révéla effectivement doué. Il se détournait quelque peu des sciences mais ne s’éloignait pas des chiffres en s’orientant vers la publicité. Ses années étudiantes furent des plus réjouissantes et Oliviers progressa rapidement en marketing grâce à ses camarades féminines.

Vers vingt-quatre ans, Olivier Duremberg connu sa première blessure d’ego par l’intermédiaire d’Adrienne Monsard, brillante graphiste de son école. Cet insupportable rejet de sa personne, bien plus qu’une peine de cœur, donna à Olivier sa plus franche période misogyne pendant plusieurs semaines. Mais, comme beaucoup d’autres aspects de la vie, ce ressentiment envers le sexe opposé se brisa tout net devant l’horreur et la brutalité de la situation sanitaire. En effet, en quelques semaines, l’épidémie fulgurante de fractures de l’ovaire droit emporta près des trois quarts de la population féminine. Olivier fit parti des nombreux survivants masculins. En moins de cinq ans, il ne resta qu’une femme pour 3,64 hommes. Le choc d’une telle tragédie fut bien sur immense dans toute la société, l’économie, la démographie, le marché des pierres tombales et celui des serviettes hygiéniques. Mais, rapidement, le principal problème auquel fut confronté Olivier ainsi que ses concitoyens fut bel et bien la disproportion hommes-femmes. Ce facteur influença grandement les comportements et relations humaines. Les femmes leur étant devenues inaccessibles, beaucoup d’hommes s’en désintéressèrent et on nota une hausse sensible du nombre de moines, de bouddhistes, de ventes de poupées gonflables. Un des éléments les plus significatifs de cette époque fut sans doute l’autorisation de la polygamie – loi ostensiblement en faveur de femmes – que beaucoup préférait aux tragédies nées de cocufiages, de frustrations et de libertinages féminins. Des ménages à trois ou quatre s’installèrent en toute simplicité. A la naissance des enfants les pères se congratulaient respectivement tout en guettant les signes de descendance génétique. La rivalité, bien normale, des compétiteurs instinctifs était encore tangible mais bien calfeutrée.

Pour Olivier, cependant, il importait peu de 2,64 autres hommes. Il faisait partie de la grande fraction de sa génération à n’avoir aucun goût pour le partage de ses conquêtes. Son physique aimable et ses talents de séducteur l’aidèrent à ne pas être en reste. Mais les femmes devenaient difficiles avec la satisfaction sexuelle et la surabondance de partenaires. Même la serveuse du pub exigeait au moins deux sorties au restaurant et cinéma avant de bien vouloir tester les compatibilités corporelles. Ses collègues cadres, quant à elles, demandaient des mois de préparation érotique. Tout une partie des femmes était devenue tout simplement inaccessible pour les bourses de l’homme moyen. Néanmoins, la frustration la plus grande était encore cette baisse globale de l’appétit féminin qui faisait souvent penser qu’elles avaient toutes deux ou trois autres amants. Quelques femmes, pourtant, préféraient encore la monogamie, au moins temporaire, mais dans un romantique engagement qu’Olivier n’avait jamais vraiment envisagé et pour lequel il ne se sentait pas voué.

Un soir d’avril, rejoignant sa maîtresse du moment – une libraire des plus ennuyeuses mais aux seins magnifiques – Olivier vit sortir un homme de l’appartement. Après quelques instants de réflexion sur le palier, il décida d’un frère ou d’un ami d’enfance et entra sans poser de question. Mais pour la première fois l’idée d’une épidémie de fractures du testicule gauche – qu’il n’avait pas, de naissance – s’insinua en lui. Quand, effectivement, quelques semaines plus tard, la seconde tragédie de la décennie explosa, Monsieur Olivier Duremberg, 34 ans, chef de projet de la campagne Themall chez Creavison, avait passé l’age de la pensée magique. Mais cette flagrante concordance entre ses désirs secrets et les événements hautement improbables de son époque commencèrent à marteler son esprit et il se surprenait parfois à désirer mentalement très fort de petites choses de la vie. Pour vérifier. Hélas pour lui, plusieurs autres de ses vœux se réalisèrent.

Le premier d’entre eux – bien qu’il ne put se rendre compte de l’impact réel que des mois plus tard, à la sortie des données officielles – concernait le taux de mortalité masculine. Heureusement l’expérience de la première épidémie était encore fraîche dans les esprits et les infrastructures. Les hôpitaux avaient déjà eut à faire face à l’afflux massif de patientes, les entreprises de pompes funèbres – qui connaissaient justement un déclin d’activité - refleurissèrent rapidement. Le marché immobilier connu sa deuxième grande crise et les survivants bénéficièrent d’une nette amélioration de leurs qualités de vie grâce à l’agrandissement remarquable des surfaces d’habitation. Cette seconde secousse démographique n’était certes pas moins catastrophique mais semblait être mieux vécue par la population. Quand, au final, la répartition des sexes repris des proportions normales, certains même s’en réjouissaient plus ou moins ouvertement

Pour Olivier, cependant, le choc fut terrible et il fut pris d’un vertigineux sentiment de culpabilité inavouable. Ne pouvant exprimer ses doutes et ses angoisses à quiconque – au mieux on le prendrait pour un fou - il passa plusieurs semaines chez lui, isolé et cloîtré, à espérer que son entreprise cessa enfin de le harceler quant à sa reprise du travail. Cela faisait longtemps qu’il avait débranché son téléphone quand, un soir de novembre, Olivier piocha une des lettres du tas sur la table du salon. L’ennui grandissant, accentué par l’impossibilité pour lui d’allumer la télévision – dont le sujet principal était encore et toujours l’analyse de ces deux vagues successives et inexplicables n’ayant épargné qu’un quart de la population totale – lui faisait sans doute rechercher une source de distraction à ses sombres pensées. L’enveloppe portait le cachet du Haut Comité de Restructuration de l’Emploi et des Services, crée six ans plus tôt. La lettre était impersonnelle et brève. Elle lui annonçait la fermeture de son agence – probablement en raison de la disparition d’un grand nombre de ses employés et de clients- et l’invitait à se rendre aux bureaux de l’Agence Nationale pour l’Emploi qui saurait le guider dans sa réinsertion professionnelle. Olivier resta de longues heures assis-là, contemplant la page oû les mots se brouillaient. Aucune pensée n’éclairait vraiment son cerveau sous le choc de cette troisième manifestation catastrophique de ses désirs, mais, une chose au moins était devenue certaine : il devait explorer le phénomène.

Rapidement il trouva dans la rigueur scientifique le cadre lui permettant l’analyse froide et le détachement salvateur dont il avait besoin. Partant du postulat qu’il était effectivement à l’origine de millions de mort, son esprit commença à jouer avec les hypothèses comme avec un fabuleux casse-tête. La première évidence, sur laquelle il travailla des années, concernait le type de volontés qu’il réussissait à concrétiser. Les points communs émergeant étaient cette conjonction d’événements émotionnels forts et de conséquences dévastatrices. Etait-ce là un élément tangible ou simple coïncidence ? Cela méritait d’être vérifié. Pour sa tranquillité et aussi un peu de sécurité, Olivier décida de s’installer dans une des régions semi désertiques maintenant légion dans les campagnes. Equipé des accès aux principales sources de données via l’Internet et de carnets de notes pour ses observations, Oliver commença ses recherches. Pendant plusieurs semaines, tout en se documentant scrupuleusement et méthodiquement sur tous les aspects de son sujet d’étude, il explora sa capacité à influencer la météo. Mais ses quelques succès en la matière furent vite détruits par les lois de la probabilité et dût se resoudre à vérifier ses capacités sur les êtres vivants. Pour son second champ d’investigation, il choisi de se concentrer sur les mammifères les plus employés dans les laboratoires pour leur proximité avec l’homme et leur facilité d’approvisionnement. Malheureusement, malgré les ressentiments et l’amertume nés de ses échecs flagrants, les souris blanches continuèrent de prospérer dans la cave. Leur évasion massive, dans la nuit du 18 au 19 octobre, et la dévastation de ses notes et des réserves alimentaires, ne suffirent même pas à créer une colère adéquate chez l’expérimentateur. Les souris restaient obstinément en pleine forme. Après des mois de tentatives infructueuses, Oliviers Duremberg, ivre de déception et d’alcool de pommes, jugea bon d’en finir définitivement avec les souris blanches. En les regardant se disperser dans l’herbe du pré voisin, leur pelages éclairés par la pleine lune leur donnant l’étrange aspect de centaines de petits spot météorites, Oliver fut pris d’une vapeur alcoolique soudaine et décida qu’il était temps pour lui de tester sa théorie sur un autre être humain. Le lendemain il réintégrait la ville, avec une seule idée en tête : trouver une femme.

Malheureusement la disparition brutale et massive des males était encore trop récente pour influencer un changement de comportement des femelles. Certes, elles avaient à faire face à la réduction importante du nombre d’amants potentiels et devaient se résoudre à en limiter le nombre. Mais elles restaient quasiment toutes aussi exigeante quant au choix du partenaire, peut-être même d’avantage maintenant que les faiblesses des uns ne pouvaient plus être compensées par les autres. Ses économies, renflouées par l’héritage de ses parents disparus dans ce que l’on nommait maintenant « Les Grandes Catastrophes », assuraient à Olivier une tranquillité financière. Il s’installa dans un confortable loft de la rue Pasteur, le décora avec soin, réglant tous les détails de la garde-robe raffinée aux tableaux originaux. Mais rapidement il lui apparu utile, pour optimiser ses chances de rencontres mais aussi faire plus attractif son statut social, de reprendre une activité professionnelle. L’idéal était de trouver un emploi peu prenant en terme de temps mais lui permettant d’entrer en contact avec un maximum de femmes, si possible esseulées. Il convenait aussi d’avoir sur ces femmes une certaine forme de pouvoir. C’est ainsi qu’Olivier Duremberg créa son agence matrimoniale « L’amour est au rendez-vous. » Les premiers mois il se dévoua entièrement à l’organisation de sa nouvelle couverture. Publicité, suivi des clients, mise en valeur des atouts des produits, rien de bien difficile pour cet ancien publicitaire. L’agence connu un démarrage prometteur avec rapidement plus de 800 célibataires fichés. Olivier avait utilisé le brillant concept des inscriptions gratuites et ne faisait payer que les consultations des fichiers et les rendez-vous, organisés par ses soins. Sûr de la bonne santé de sa petite entreprise, il engagea une secrétaire - assistante et put enfin, en début d’année, s’attacher à son principal objectif.

Carole Tamson était une petite brune aux seins généreux, qu’une décennie de surabondance masculine avait complètement perturbée. Persuadée que la reprise de la compétitivité féminine ne lui laissait plus aucune chance, elle s’adressait à l’agence en désespoir de cause. Prête à tout, semblait-il pour fonder un couple avec le premier venu qui voudrait bien d’elle. Olivier y vit un sujet des plus prometteur et prit tout d’abord soin de la conforter dans sa pensée malheureuse. Après plusieurs semaines de travail méticuleux et de rendez-vous voués à l’échec, il commença tranquillement son approche personnelle. Un soir de mars, sous prétexte d’un moment de réconfort, il lui offrit d’aller prendre un verre et en profita pour suggérer son désir personnel de trouver la femme de sa vie. Il entama une cour généreuse et patiente, subtile et pleine d’attention. Elle tomba rapidement amoureuse. Sous ces premiers signes encourageants, Olivier put même satisfaire ses besoins sexuels dès le mois d’avril. En mai il multiplia les ballades romantiques et les dîners merveilleux, avant de rompre brutalement le premier juin. Par ce délicieux stratagème il espérait en effet que la colère et le désespoir de Carole lui feraient adopter le comportement extrémiste des âmes rejetées. Cependant, le harcèlement de son ex-maîtresse, censée provoquer en lui suffisamment de ressentiment pour potentialiser ses facultés meurtrières, n’eut jamais lieu. Carole Tamson avait choisi la forme la plus extrême de la tragédie amoureuse et c’était suicidée le lendemain de la rupture, sans même une lettre. Apres tous ces mois de préparation, la déception d’Olivier fut particulièrement amère. Carole était morte, certes, mais il n’y était pour rien ; il n’avait même pas eu le temps de le souhaiter. Après quelques jours de franche démotivation, bien compréhensible, il retourna pourtant au travail. A son arrivée, Mathilde, sa secrétaire, interpréta son absence et sa mine défaite comme les signes d’une autre souffrance. Elle lui apporta un thé parfumé au réconfort et à l’absence de culpabilité à avoir vis-à-vis des choix d’autrui. Olivier comprit alors que la frustration de ces mois perdus et l’agacement provoqué par le discours de Mathilde devrait amplement suffire. Pendant que sa secrétaire se déversait en banalités psychologiques, il ne pensa plus qu’a une chose :
« Je veux que Mathilde meurt. »
« Mathilde mourra dans d’atroces souffrances. »
« Je déteste Mathilde, elle doit mourir rapidement. »
répétée mentalement en terribles mantras.
Mais les jours passèrent sans que Mathilde ne montrât aucun signe de souffrance ou de maladie. Olivier devait reprendre ses hypothèses.

Il décida de choisir un groupe cible plutôt qu’une personne particulière. Il ne pouvait bien sûr pas utiliser sa propre agence. Une mortalité excessive chez ses clients aurait été en effet des plus suspect et aurait limité ses investigations futures. Ce fut là encore Mathile-la-douce qui lui apporta la solution. Après quelques semaines de morosité ambiante, persuadée que son patron devait se changer les idées, elle lui proposa de venir participer à une réunion de réflexions de groupe. La présentation qu’elle en fit sonnait vaguement comme un regroupement hétéroclite de désespérés spirituels mené par un gourou au nom rocambolesque. Armé de ses quelques notions ésotériques et d’un grand besoin de se soulager sur autrui, Olivier convint qu’il y avait là une excellente opportunité. Ne voulant plus perdre de temps, en même temps que les séances d’échange de pensées positives du samedi, il jugea utile de multiplier ses chances de réussites par l’intermédiaire d’une autre souris de laboratoire. Joyce Cosagne était une rousse volcanique qui confondait allégrement désir et amour. Elle lui fit du rentre-dedans franc et drôle dès la première rencontre. Olivier y vit un signe prometteur et pensa qu’un tel caractère, visiblement anti-suicidaire, était probablement plus adéquat à ses objectifs scientifiques. Bien sûr il semblait quasiment impossible de mener cette belle au désespoir amoureux, aussi opta-il pour une autre forme de ressentiment par l’humiliation. Son plan était aussi simple qu’ingénieux et ne devait prendre, tout au plus, que quelques mois. Cependant une faille inattendue se révéla dans les belles perspectives d’Olivier. Les séances de méditation ne lui procuraient pas du tout la dose de cynisme qu’il avait escompté. Au contraire, les semaines passant, il ressentait un apaisement de plus en plus marqué qui lui faisait même perdre, petit à petit, la volonté de poursuivre son projet. Le doute s’insinuait en lui. Des années maintenant le séparaient de la dernière manifestation tangible de ses capacités. De nombreuses assemblées avaient pour sujet « La culpabilité des survivants » et les réflexions qui en découlaient affectaient Olivier bien plus qu’il n’aurait voulu. Malgré ses tentatives pour se reconcentrer sur son but initial, il perdait le goût de l’expérimentation. Après quelques temps les assauts érotiques de Joyce l’ennuyèrent. Il rompit sa liaison de manière courtoise et se plongea dans la lecture du livre du docteur Flammel : « Quand il n’y a rien à comprendre ou comment aller de l’avant. ». A la suite de sa rupture avec Joyce, l’attitude de Mathilde changea sensiblement. Lui-même commencant à modifier ses perspectives de vie, il s’intéressa à elle autrement que comme un sujet d’étude. Elle se révéla charmante et drôle, facile à vivre, en un mot attachante. Rapidement il se surprit à vouloir lui faire une cour innocente et inédite. Du premier baiser à l’installation dans le loft de la rue Pasteur tout se passait naturellement, sans préméditation ou presque. L’idée d’une demande en mariage faisait son petit bonhomme de chemin dans l’esprit d’Olivier Duremberg, heureux pour la première fois de sa vie d’envisager la femme à ses cotés comme la sienne.

Mathilde tomba brutalement malade un dimanche soir après souper. Elle fut prise de crampes affreuses et de vomissement incoercibles et sanglants. Se précipitant aux urgences, Olivier commença avec elle la pénible survie des malades pour lesquels on ne peut rien. Aucun spécialiste ne semblait pouvoir expliquer les symptômes et encore moins guérir la patiente. Les doses de morphine qu’on lui injectait plongèrent rapidement Mathilde dans un état comateux ne permettant plus aucune communication mais ne l’empêchaient pas de se tordre de douleur dans ses draps moites de sueurs glacées. Olivier resta à son chevet pendant les 21 jours de son agonie, incapable de parler ni même de penser. Elle mourut un dimanche matin, à l’aube, son corps apaisé mais son visage marqué par la douleur l’ayant emportée. En lui prenant la main, Olivier Duremberg, 38 ans, put enfin lui dire.

Tes impers malléables.


Et de trois qui font douze, tu as mis huit moi avant de trouver ta paire de neuf.
Il pleuvait à l’heure pile.
Et de cinq qui font un, ta main a glissé sous un deux trop paternel.
Plic ploc les gouttes vont par milles unités.
Et de treize qui font onze, tes fleurs du mal ont péri sous le nombre de tes maîtres bien compensés.
ça a tout débordé.
Et de quatre pieds qui font sonner tes sept mains, les rythmes se perdaient en paire de claques.
Pas foutu de faire l’addition de tes pertes.
Et de toi qui fais vous, tu as perdu le compte de tes vaines impaires à la vingts deuxième heure de page publicitaire.
Les maths fuies dans la tasse en porcelaine.

Il est cinq heures, laisses tomber tes illudivisions ; j’ai envie de trois fois ton poids lourd pour le thé.

Marins d’eaux sous-cutanées.


Vous vous êtes présentés, un aurore, en surface. Vous surfiez vos vagues communes, derrière les geysers de tous les jours. Vous buviez la tasse régulièrement, en petites plongées dominicales. Pas de quoi vous noyer cependant, la colère vous faisait flotter. Vous avez voulu de l’interface, un midi, en contrepartie d’un contact difficile. Et vous vous êtes bousculés ensemble, de chaque coté de la glace. Vous pleuriez, becs ouverts, vos trop grands reliefs atomiques. Vous vous agitiez vainement pour lisser vos démarches comme-il-faut. Vous vous en vouliez demain, déjà, mais hier sera pire, vous vous en doutiez, en silence. Et quand tout c’est mis en mouvement, vous avez cru agoniser en exile de vos plans à deux dimensions. Avez-vous bien pris vos doses de décolorant ? Il semble que vous tachetez à l’autre bout de vos flottaisons intimes. Personne ne peut plus rien pour vous, ça mousse sous vos nages toutes pareilles. La marée basse s’éloigne encore, les sangs seront beaux à la prochaine éclipse.

Mon sac de billes.


Mon sac de billes est tout troué, tout mité, tout aéré. Je n’ai jamais pu me résoudre à les ranger dans des boites étiquetées – boulets, calots, mammouths, minis, maxis billes ; j’assume donc les pertes récurrentes de mes yeux de chats. J’éparpille mes billes sans le décider vraiment. Une, deux, dix, cent. Elles filent sur les parquets cirés avec le bruit de la grêle sur la vitre. Dix, cent, milles billes qui glissent et déstabilisent les gens autour. La foule s’écarte pendant que je joue aux équilibriste, résolue à laisser courir. Parfois, accidentellement, quelqu’un prend le temps d’en ramasser pour moi. Cela n’a aucune utilité, fondamentalement le cul de mon sac est tout poreux, mais cela permet un échange membranaire, un instant. Cent, mille, mes millions de billes perdues et retrouvées, mes petits nerfs plantés là, sans arrosage excessif.
Mon sac de billes est tout troué, merci de ne pas m’en offrir d’autre. Je ne saurais pas quoi en faire.

La légende des six doigts.


Nous étions six, nous étions sans pareil, nous étions les forces vives des échos hallucinatoires. Nous assurions les classes savamment brillantes des vies de luxe et de luxures.
Nous étions légendaires, déjà, parmi les cataphiles des vies profondes comme les gorges des chanteuses de Gospel. Nous étions, si j’ose dire, les messies des êtres à moitie vides sur cène à moitié pleine.
Quand nous marchions ensemble, les trottoirs s’élargissaient comme des pupilles sous influence. Dans ces regards citadins on trouvait la preuve de nos existences magnifiques. Nous ombres elles-mêmes s’illuminaient de la géniale absence et le hasard nous confiait ses secrets dans le murmure imprévisibles de nos aléas. Cela nous donnait l’aura des êtres jamais étonnés, des paumes toujours levées.
Nous étions six, nous étions sans pareil.

Mouvements.


J’ai l’instinct de nos mouvements. Je ne me satisfais pas des voyages intérieurs. Je suis absente, c’est vrai. Mais là, toujours. Souvent plus là que ceux-là qui se prétendent là. Y es-tu ?

J’ai les espaces superposés et les latitudes variables. Mes longitudes remontent facilement le cours des temps de mes altitudes souterraines. J’ai les trajets récurrents mais je n’en connais aucun bout. Je fais des cercles en 576 dimensions satellitaires.

J’ai la présence d’esprit de ne pas savoir où cela peut mener. J’ai déjà trop croisé mes jours, je fini par confondre. Mes milliards de particules élémentaires ondulent au gré des incommensurables univers qu’elles rencontrent. Les tables des marées sont difficilement programmables.

Autant dire que je n’y suis pour pas grand-chose sinon d’y être.

Résistance.

Je suis nue.
Je suis nue et sans mur. C'est-à-dire sans porte ni fenêtre.
Je suis nue de peau, nue de coeur, nue de cheveux. Je suis nue dans l'air, nue dans l'eau, nue sur le lit.
Je suis nue de mes entrailles à vif.
Je suis nue d'autrui.
Je suis nue, est-ce indécent ? Je suis nue des musiques internes. Je suis nue sans esthétisme et sans honte, sans remord. Je suis nue sans l'avoir voulu.
Je suis nue sans faiblesse, nue visiblement.
Je suis nue en profondeur de la nudité superficielle.
Nue sous les pas et nue sur la distance. Nue dans la durée, nue de mes nuits éclairées et de mes sombres jours. Je suis nue sans n'avoir rien perdu. Je suis nue sans l'innocence, sans culpabilité.
Je suis nue comme une femme.

Regrets à vendre.

J’avais des regrets et je ne le savais pas.
Je les ai transportés malgré moi, clandestins de mes humeurs.
Ils m’étouffaient par derrière les nuits de déroute, les jours de manque.
Car s’il est une chose que les regrets ne supportent pas, c’est bien d’être ignorés.
J’avais des regrets et je ne le savais pas.
Ils déambulaient, mal fagotés en amour. Hurlaient en colères ravalées.
J’avais tout plein de remord au fond des gorges déployées, par dessus les sourires échappés.
J’ai des regrets, maintenant je le sais. Je cherche encore comment les décoller de ma peau maculée.
J’ai des regrets, je suis dans la merde.

Il est midi aux portes.

On me donne du courage là où je ne vois que lâcheté.
On me sert de ma liberté où je murmure presque du destin.
De combien de chimères chacun de nous a-t’il besoin
pour survivre à la réalité ?
Je ne suis que ce que je suis ; c'est-à-dire pas grand-chose mais pas rien.
Je navigue dans des temps pendant lesquels les choix ne sont que des illusions masquant mal les évidences.
Je me reconnais en vous comme vous en moi : partiellement.
D’ailleurs ni vous ni moi ne savons vraiment ce que nous sommes.
De toute façon, la question n’est jamais posée.

Vie d'usine pour Mélusine. 3/3

C’est l’été sur l’usine. Fermeture du mois d’août pour ses laborieuses, un arrière goût de liberté en récompense, un cadre en fenêtre de l’espace temps ouvrier. Mélusine ne part pas. Ce n‘est même pas parce que son salaire est minimal. Mélusine habite un petit studio en banlieue, n’a aucune activité, mange peu. Elle a des économies, involontairement de quoi partir vers ailleurs le temps de l’été. Mais elle n’y a jamais pensé, instinctivement elle n’a même jamais envisagé de partir. Pour où, et vers quoi qui en vaille la peine ? Mélusine ne part pas, ne s’éloigne pas de son bassin d’origine.

Le premier week-end se passe comme d’habitude. Levé à 7h, café noir. A 8h les doigts s’agitent un peu, prendre une boîte de raviolis et du sucre, passer chez la propriétaire. Mais dès le lundi, une nouvelle forme d’effervescence l’envahie. La ligne N°4 l’appelle de ses mains, nerveusement prises de tics désagréables. Etrangement ce comportement des extrémités ne cesse pas avec les heures puis les jours. Mélusine a une idée : elle commence le tricot. Elle se rappelle vaguement le nœud de base. Elle achète une pelote de grosse laine jaune en solde et puis deux aiguilles, trop fines pour son fil. A 16h30, elle a un rectangle de 32 cm de large, exactement. Les premiers rangs laissent un peu à désirer. Mais rapidement l’ouvrage devient régulier. Mélusine tricote dans sa cuisine tout l’été. Passer la pointe dans la boucle, le fil entre les aiguilles, l’aiguille de l’autre côté, point suivant. Cinq jours par semaine, pendant sept heures. C’est une drôle de banderole multicolore qui s’entasse dans le coin.

En septembre, la ligne redémarre. Les visages paraissent plus lumineux pendant quelques secondes, puis la lumière bleue s’allume. Pièce du bac, côté droit, clic, rondelles, vis, tapis, pièce du bac, clic, rondelles, vis, pièces, vis, clic, rondelles, clic. A 16h30 c’est la quille. Bus N°94 à 16h43. Seulement, quelque chose vient encore de changer pour Mélusine : ses mains ne se suffisent plus de la ligne N°4. Ça peut paraître anodin, dit comme ça, si on accepte le fait que des mains agitées peuvent prendre le contrôle d’une vie. Mais pour Mélusine c’est une révolution. Mélusine fait quelque chose, en dehors des actes strictement nécessaires à la vie et elle y a pris goût. En tout cas cela présente un intérêt immédiat vis-à-vis de ses démangeaisons palmaires.

En dehors de toute pensée concrète, elle se dirige déjà vers la mercerie. A la devanture, la vendeuse finalise sa vitrine d’automne : il s’agit d’une tapisserie de saison – une scène de chasse à cour – exposée autour de fils aux couleurs du même thème. Mélusine trouve que ça prendrait moins de place, elle entre à la recherche de son nouvel ouvrage. Mélusine arachnide est devenue pénélope sans le savoir. Peut-être bien que le seul Ulysse de Mélusine ne sera que la mort elle-même. Peut être bien qu’elle n’est pas vraiment différente. Derrière les points, les vis, les nœuds, les rondelles et les tapis, y a-t-il jamais plus que du fil en solde ?


Vie d'usine pour Mélusine 2/3

Mélusine était rentrée sur la ligne numéro quatre à peine quelques jours après son seizième anniversaire. Elle n’avait pas changé de poste depuis. D’ailleurs elle n’avait pas changé depuis cinq ans. Le même regard vide, la même lassitude des cheveux, la même démarche indifférente. Les premiers temps, ses collègues avaient vu dans son attitude une forme de rébellion adolescente. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence, Mélusine ne protestait pas, elle ne réclamait rien, n’affirmait ou ne contredisait rien. Quand, lors d’une réunion syndicale, on l’avait questionné ouvertement sur ses aspirations, elle répondit :

- Rien, je ne veux rien. Je suis satisfaite comme cela .

Cela avait provoqué un léger malaise dans l’assistance, puis les conversations avaient repris en écartant le sujet. Depuis, plus personne ne demandait quoique ce soit à Mélusine. Cela semblait lui convenir aussi, elle était de nature peu bavarde.

Tout comme celles de ses collègues, sa vie s’était réglée au rythme de l’usine. Cinq jours durant, elle animait ses mains devant le tapis. Le visage ni concentré ni distrait, impassible. Tous les matins elle se levait à 7h, prenait un café noir puis le bus n°94 de 7h32. Le soir elle rentrait par celui de 16h43 et allait s’allonger en attendant l’heure de passer à table. Le samedi pour les courses, le dimanche la lessive.

Etait-ce de porter le nom d’une fée au triste destin amoureux ? Mélusine n’était pas portée sur les garçons, les problèmes amoureux ni même les pulsions sexuelles. Mélusine ne lisait pas, ne regardait pas la télé, ne s’intéressait pas à la mode, à la politique ou l’environnement. Mélusine vivait en fonction économique depuis toujours semblait-il.


Vie d’usine pour Mélusine. 1/3


Lumière bleue. La pièce du premier bac sur la face droite, emboîter les deux parties, du haut vers le bas, prendre une rondelle du bac du milieu et fixer avec la vis, recommencer trois fois, à chaque angle. Pièce, face droite, rondelles, vis, tapis. Pièce, rondelles, vis, sentir le clic. Flashs, lumière rouge : arrêt d’urgence. Un flash, lumière verte : pause. Enlever le casque, refaire surface avec le monde du bruit.

Agathe avait vite compris l’utilité du casque. Pas seulement quand elle était à la chaîne ; elle l’oubliait souvent au réfectoire. Rapidement les autres ouvrières l’avaient laissé seule, mais elle gardait cette habitude. Lumière jaune: on repart, à la bleue il faut déjà avoir repris le rythme. C’est facile, avait dit le chef de ligne : pièce, face droite, clic, rondelles, vis. Avec ce casque tu n’entendras pas le bruit des presses et tu resteras concentré. Concentré sur la pièce, le clic, les rondelles, les vis, pendant 7h. On-ne-peut-plus simple.

Au bout de deux semaines, n’importe qui pourrait le faire dans le noir. Céline, elle, le faisait les yeux fermés depuis sa première demi-journée. Cela faisait plus de deux ans qu’elle faisait exactement les mêmes gestes, il lui était poussé une sorte de sixième sens. Elle attrapait l’objet, faisait ses manipulations et reposait le tout. Les yeux fermés. Les oreilles casquées. Et pourtant parfaitement synchrone avec son environnement. En face, Hélène ne cessait d’admirer cette efficacité, sans se rendre compte qu’elle-même ne regardait pas d’avantage son occupation manuelle.

Pause déjeuner au self service de l’usine, les plateaux en ligne sur les petits rails. Couverts, verre, pain, entrée, plat, vin, caisse. Et le reste, le reste. Pièce, clic, rondelles, vis, tous les jours, toute la vie, tout le temps. Pièce dans le sommeil, rondelles du réveil, clic, clic sur la télécommande. Vis du loyer, des gosses, des plantes vertes. Pièce du bac dans le clic du tapis d’autoroute des vacances. Flashs rouges des grands moments, lumières vertes des barbecues, à la bleue les transports en communs.

100 contre un, ça laisserai au moins une chance.


Je suis, nous sommes
les Don quichotte de nos paradis perdus.
On se bat, hystérique et psychopathes avec
mes chimères, nos illusions.
On s’entraperçoit dans mes combats, nos batailles
sublimes, pathétiques. Et ça nous fait rire encore, les soirs de tempêtes.
Burlesques pantomimes de mes incapacités, nos peurs
mes mensonges, nos vérités, transcendés en ligne de vie, de fuite vers des horizons à jamais inaccessibles. Et ça nous fait pleurer encore, au soleil ardant.
Les mauvais présages s’accumulent pourtant en cadeaux de noël anticipés dès l’été. Qu’importe, s’il faut mourir, au moins soyons braves face aux dragons imaginaires.

Monsieur Méno, version accoustique.

Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.

Monsieur Méno, version salsa.

Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.

Monsieur Méno, version jazz.

Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.

Monsieur Méno, version rock.

Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.

Monsieur Méno, version éléctro.

Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.

Monieur Méno, version dub.


Ici il y a des textes, écrits mais coincés très loin dans un disque dur.

Admettons qu’une incapacité technique m’empêche de les publier.

Ici il y aura ces textes-là, un jour.

Ou pas.


Monsieur Méno.

La piscine Berthelot fut construire dans les années 70 au cœur du quartier des Marolles à bruxelles. Elle connut des heures glorieuses de fréquentation. Des heures sombres aussi, car les piscines finissent, comme le reste, par couler dans la grande tempête du progrès. Elle fut reprise en 2003 par une association proposant des spectacles à la place de l’eau. A cette époque le décalage du lieu et de la fonction était à la mode et, sans lui redonner une seconde jeunesse, lui permis de retarder la démolition. Entre ses deux périodes néanmoins, elle ne fut pas inoccupée. Un homme y vécu même plusieurs années.
Monsieur Méno portait continuellement un long manteau brun de velours râpé, ou de cuir auréolé, on ne sut jamais bien. C’est le seul vêtement qu’on lui connut, et ne l’ouvrant jamais, on aurait pu croire qu’il n’avait rien d’autres que cette peau usée sur son corps sans âge. Il vivait dans le grand bassin. Dans l’ancien bar il y avait un réchaud, quatre douches fonctionnaient encore, comme beaucoup de toilettes. Mais Méno ne quittait pas le grand bassin. Concrètement on devine qu’il devait en sortir de temps à autre pour satisfaire ses besoins, peut-être même mettre le nez dehors puisqu’il n’avait ni téléphone ni visites régulières pouvant fournir les impératifs vitaux. Mais enfin, personne du quartier ne le vit jamais ailleurs que dans son bassin, avec son manteau. Il faut dire qu’il fait froid à la piscine Berthelot quand l’eau n’est plus là pour réchauffer l’air. La lumière inonde le carrelage bleu à travers les grandes verrières du plafond mais rebondie dans le vaste espace glacé, sans effet de serre. Même en pleine canicule, on y a froid du vide. C’était pire encore du temps de Méno et les rares personnes l’ayant vu ont toutes été figées devant la scène d’une vacuité prenant à la gorge. Au centre du grand bain asséché, une table presque nue et une chaise. Au fond un matelas. Dans la gouttière des contours, il y avait encore ses livres alignés sur ce nacre entre les échelles et les plongeoirs. Et puis sur les bords un second cercle fait de vieux canapés et fauteuils dépareillés, comme dans l’éternelle attente d’un lecteur. Mais aucun des visiteurs n’eut l’occasion de s’y asseoir puisque Méno ne proposait jamais que sa chaise, à l’exact centre de ce qui semblait tout à coup être un jury de fantômes.
On ne sait pas quand monsieur Méno arriva exactement, ni même quand il partit. D’ailleurs, on sut rien d’autre de lui, ou presque, et la plupart des suppositions sur son existence n’alimentaient même pas les rumeurs du quartier. Peu de gens s’y intéressèrent longtemps, hormis ceux qui l’ont rencontré car il était forcement de ces personnages inoubliables.

Sans.


Ça fait si longtemps maintenant que tu ères entre leurs yeux que tu ne sais même plus la couleur du sommeil. Au fond des grands puits, tu crois encore que le vide cache la folie, croupie-là, dans les eaux froides et souterraines des pupilles racornies. Tu as perdu ta baguette, tu as perdu les vibrations mais tu ne te résous pas encore, tu rebondis inlassablement, comme si ton âme malade ne savait plus rien faire d’autre. A l’heure de fermer tes propres yeux, tu hésites. Les volets restent ouverts sur la nuit. Bientôt tu déambules dans les rues désertes, à la recherche d’un autre œil dans le silence des morts intimes. Tes cils hululent le jour pâle quand nos paupières s’ouvrent enfin. Alors, un instant, tu peux rêver.


Ça fait si longtemps maintenant que tu ères entre les corps perdus que tu ne sais même plus l’odeur de ta peau. Sur les grandes esplanades des chairs offertes, l’écho des cris de tes jouissances te donne encore l’impression d’être libre. Tu as perdu ton propre désir, tu as perdu les frissons mais tu baises encore, pour ne pas perdre la main. Comme pour participer à une immense partouze et retrouver ta consistance. A l’heure de t’offrir à ton tour, tu hésites. Tu rechignes, tu tiens bon, tu débordes soudain en un flot tiède cachant mal ton absence. Tu dégages rapidement, tes mains étouffent, tes oreilles hennissent, tu es déjà loin. La porte claque doucement derrière toi. Alors, un instant, tu peux exister.


Mes peurs.

J’ai peur de demain, j’ai peur d’hier. Aujourd’hui j’ai peur. J’ai peur des vaches et des trains qui m’emmènent toujours plus loin, partout pareil. J’ai peur de ne jamais plus m’arrêter, j’ai peur d’aimer mal. J’ai peur de ne plus sourire, j’ai bien peur de trop pleurer. J’ai peur encore des mots qui fixeraient mes peurs. J’ai peur de passer à côté de l’essentiel, d’être trop fragile et bien trop forte, j’ai peur de ma sensibilité, j’ai peur de mes anesthésiants. J’ai peur de me tromper, j’ai peur d’avoir raison. J’ai peur d’être seule et peur d’être deux et peur d’être plus nombreux. J’ai peur des gens, j’ai peur de moi, j’ai peur pour moi et même pour d’autres. J’ai peur de mourir et peur de vieillir, j’ai peur de ne pas grandir, j’ai peur de mon enfance et de finir adulte. J’ai peur de me réveiller et peur de m’endormir, j’ai peur de mes insomnies et de mes rêves diurnes. J’ai peur de mes fantasmes, de mes élans, de mes convictions erronées. J’ai peur du monde et de la vie, j’ai peur de vivre, j’ai peur de n’avoir pas assez de force. J’ai peur encore de n’être rien, et ce n’est rien à côté de ma peur d’être quelque chose. J’ai peur de mes masques, j’ai peur des miroirs, j’ai peur de ma gueule déglinguée, j’ai peur pour mon âme délabrée. J’ai peur au ventre, j’ai peur aux doigts, j’ai peur aux yeux et au cœur, j’ai même peur dans la bouche amère, dans le sexe, dans les frissons j’ai peur dans le dos, j’ai peur sur mon front et sous les cheveux. J’ai peur de me noyer, j’ai peur des salons et des caves, j’ai peur des gares. J’ai peur de ne pas comprendre mes peurs, j’ai peur du sens qui n’existe pas, j’ai peur du grand méchant loup, j’ai peur d’échouer et j’ai tellement peur de réussir. J’ai peur d’être trop nombreuse, j’ai peur d’être compliquée, j’ai peur d’être simplement bête, j’ai peur d’avoir perdu les traductions. J’ai peur du noir, j’ai peur de la lumière. J’ai peur que le listing de mes peurs ne suffise même pas à les exorciser.
J’ai peur de tout cela, et pire encore j’ai peur du contraire.




Et puis, parfois, l'espace d'un minuscule instant,
je n’ai plus peur de rien.

Sous la poussière des hommes.

La vitrine du brocanteur est un vrai modèle du genre : vitre sale, agglutination d’objets hétéroclites, posés, semble-t’-il, au hasard, sous un mauvais éclairage. Le parfait marketing pour la clientèle à la recherche de vieilleries. En bas, à gauche, à l’ombre d’un soldat napoléonien, se trouve un petit écrin ouvert. Le velours est usé, la soie brunie a pris la forme de l’objet. C’est un petit ciseau à couture. L’argent est ciselé autour des deux anneaux. De loin on dirait deux alliances pour la même main. La pointe du ciseau est fine et pointue. Un subtil rai de lumière égaré lui donne l’éclat d’un petit diamant. La pierre taillée au-dessus des anneaux. Dans l’écrin. Sous l’ombre du soldat. Dans la vitrine du brocanteur.

Une fraction de seconde plus tard, la foule m’a avalé. J’étais dans l’onde vivante du champ de blé sous le vent. L’énergie me traversait, rassurante.

Rêve vaudou.

L’oiseau marque clairement l’endroit. Cela doit être un oiseau, un corbeau. Le corbeau tape le sol avec son bec. En donnant de petits coups il creuse la terre. A ce moment-là tu t’approches, parce que c’est évident qu’il faut s’approcher, saisir ce que le corbeau te dit. Disons que tu es intrigué, pour le moins. Au fond c’est plus que ça, puisque déjà tu écoutes un corbeau. Il a cessé de montrer l’endroit et il te scrute de son oeil sombre bordé de jaune. Tu hésites un peu, tu as peur qu’il s’envole, de n’avoir pas le temps. Mais il ne s’envole pas alors tu vas voir. Et lui ne recule que d’un mètre ou deux, il reste là, à t'observer. Tu n’y prêtes pas tellement attention : tu t’es agenouillé pour regarder. Ce n’est rien qu’un petit trou dans la terre sèche et nue. Tu creuses un peu, au cas ou. Mais à la main, tu ne progresses guère plus qu’au bec. Tu considères l’oiseau. Il semble te dire oui de la tête, mais tu n’es plus très sûr tout à coup. Après tout ce n’est qu’un oiseau et toi tu es en train de salir ton beau pantalon en creusant. Mais où trouver une pioche ? Le corbeau se met à rire bruyamment, il est clairement en train de se marrer, ce petit con. Tu te lèves et tu essuies tes genoux. Tu t’éloignes.


Submersible.

L’eau est rentrée de tous côtés, par-dessus, dessous, par les ouvertures et les failles, par les grands sourires et les silences, partout elle pénètre. L’eau a pris toute la place, a tout alourdi. C’est l’heure, capitaine, ferme les dernières écoutilles, pour une autre plongée dans les ondes troubles, vers les abysses sans limite. Là où il n’y a plus de lumière, ni de chaleur, plus de son, plus d’odeur. Là où il n’y a plus de vie. En lente dérive inutile et essentielle, emportée par les courants aléatoires et sans importance. Le temps continue sûrement, ailleurs, mais ici il n’est plus compté. L’espace lui-même c’est rétréci aux dimensions de l’unicité, un point dans l’abîme, à peine une particule, un tout petit vide de rien du tout dans le grand noir sidéral sidérant si attirant dans sa froideur virginale. Proche du zéro absolu, tout près du fond incommensurable et génial, à porté de souffle de l’électron enfin libéré. La non-existence ultime de l’être qui se noie.

Et puis une voix. Subtilement perceptible. Doucement lancinante, comme une douleur oubliée. Un frère humain chuchote, un oiseau peut-être, un albatros alors. Sans s’en apercevoir la terrible surface se rapproche. On aurait cru à l’effort de vider les ballasts qu’on se tromperait. Tout s’évapore lentement en un subtil brouillard remuant de vie. Les tempêtes attendent certainement le pauvre navire en déroute, il va falloir encore lutter, trouver quelque énergie de l’improbable vitalité résiduelle. Profiter des accalmies pour colmater les brèches béantes, repeindre la coque pour arriver au port comme dans la cour du lycée : pareil aux autres, rutilants et joyeux. Comprendre alors, dans certaines cicatrices, les expériences d’immersions totales ; s’en faire complice, en silence, pour se tenir chaud encore une heure. Tromper une fois de plus les haruspices plongeant dans nos propres entrailles, en prolongeant une pirouette absurde et sublime.

Insaisissables.

Le fil était invisible,
c’est le mythe d’arachnide au bout de sa corde, qui ne tisse que pour elle maintenant.
A la rosée, on pouvait l’entrevoir, en dentelles complexes
et puis il s’est évaporé avec le jour, il n’en est resté que le goût de la peau.
Le fil est invisible,
c'est le prix de la solidité au bout des cœurs, qui ne font des nœuds que pour mieux se souvenir d’eux-mêmes.
A la nuit tombée on se prend souvent les pieds dedans, en fantômes à l’humour lamentable.
Et puis on fait des bonds entre minuit et deux comme des chats d’opéra, habiles déjà à éviter le meilleur.
Il ne reste que le vide saisissant, d’une ligne de travers dans le ventre.
Le fil sera invisible encore longtemps pour exister dans les feux des yeux.
C’est la tragique histoire des bonheurs humains, qui ne seront que mieux demain.
A midi je m’en souviendrai encore, en mirage des ciels inquiets.
Et puis le chemin balisé marquera les pas d’une foule exsangue, en humides ensoleillements sur nos joues tendues à la caresse violente.
Il n’en restera que l’attente du pire.

Virage en droite ligne.

Les lièvres c’est un peu con, ça court en zigzag devant le danger sur lequel ils finissent immanquablement par tomber.
Balancer une balle qui rebondie entre les parois du couloir du point A au point B.
De loin ça fait de jolis dessins, agroglyphes sinueux dans l'herbe qui ne demande qu'à être tracée.
Les courbes d’un transatlantique : c’est chaque fois le même bordel à poser sur une carte plane.
Les retours à la case départ sans toucher que dalle.
Les sublimations en lavage à sec mais repassage vapeur.
Les virages, quoi, les trucs tout droits.
Les mirages, enfin, des paradigmes vertigineux.
C’est l’histoire sans fin d’un début que l’on atteint pas, les piétinements des chevaux au bord du circuit. Les peaux en tremblent d’excitation injustifiée.

Témoin

Toi qui a vu ce que même moi je n’ose regarder
oubli vite, il n’y a rien à faire de cette obscurité
il n’y a rien là-bas, que des champs de pierres.
Les pierres qui dansent, cela n’existe pas.
ni les fées ni les sorciers, ni cette réalité,
que seul un fou pourrait affirmer.

Ne t’imagines pas que je veuille t’en cacher
ou que, maternante, je choisisse de te préserver
il n’y a rien d’autre, que des champs de pierres.
Les pierres qui volent, cela n’existe pas.
C’est le tapis volant de ton dessin-animé,
le menhir d’une potion magique de BD.

Tais-toi, tu n’as rien pu remarquer
tu n’as rien entendu de singulier
il n’y a rien là-bas, que des champs de pierres.
Les pierres qui chantent, cela n’existe pas.
Même le vent ne croit pas aux sirènes d’été
alors cesse un peu de faire l’enfant entêté.

Si tu crois, c’est que tu t’es trompé
si tu doutes de moi c’est d’en avoir rêvé
il n’y a rien d’autres, que des champs de pierres.
Les pierres qui pleurent, cela n’existe pas.
C’est la pluie qui fait tout dégouliner,
rentre maintenant, tu vas finir par t’enrhumer.

Là-bas, il n’y a rien d’autre que des champs de pierres.
Et les champs de pierres, ça ne vit pas.

Chères escales.

Je suis restée sous le grand chêne de mon premier baiser,
là où l’herbe fraîche exaltait d'obscurs frissons.
Je suis restée dans la carrière aux milles secrets,
en équilibre sur les pierres affleurantes, à compter les libellules.
Je suis restée sur le parquet de la plage déserte
à hurler l’orage toutes portes ouvertes.
Je suis restée dans une chambre d’étudiant enfumée
en d’excessifs collages nocturnes.
Je suis restée près du lac gelé, dans les pâtures libres enneigées
et vierges, dans les éclats de rires injustifiés.
Je suis restée sur une colline d’un soir d’été,
entre les vibrations d’une pluie et celles des ombres broutantes.
Je n’ai plus assez de moi pour rester encore quelque part,
et je navigue encore entre les ports des hommes et les mers des femmes.

Chanson d’amour.

Je suis fille d’amour. C’est bien payé,
et sans danger pour la santé.
J’ai commencé par hasard,
grâce à un simple miroir
de poche.


Je suis fille d’amour de métier,
a Barbès, j’ai tout appris des sorciers.
Il suffit d’offrir de la dépendance,
le plus ancestral objet d’accoutumance :
soi-même.


Je suis fille d’amour et je m’ennuie,
rien à faire, pire qu’une fonctionnaire.
Même les étincelles dans leurs yeux,
ne me regarde pas, je suis juste
deux mains.


Je suis fille d’amour par réflexions,
en moi ni intérêt ni convictions.
Une toute petite distance à franchir,
la marque narcissisme pour accomplir
la contemplation.

Je suis fille d’amour et je n’existe pas.
Mes tours ne sont que de vulgaires appâts.
Les sorts sont placebos,
du sucre avec de
l’Ô.


Je suis fille d’amour, et de haine.


Je ne t’avais jamais dit adieu.

Quand l’orage est arrivé, on faisait encore des plans pour les vacances. Demain est tombé en trombes indémontables, sur nos corps nus habitués au bonheur. Que d’instants merveilleux et blancs, sans importance, nous ont été ôtés, par le tonnerre et les larmes du ciel. Les éclairs nous offraient le relief dont on ne voulait pas. Enfants lisses nous aimions nos cécités derrière les cartes postales. Quand l’orage est arrivé tu n’as pas crié, tu n’as pas pleuré. Tu as juste dit « On a qu’à faire comme si… ». Pourtant il me manquait les forces, tu le savais. C’était juste un instant de plus, le temps d’une phrase. Il a fait gris longtemps, après cet orage. Et souvent, en souvenir de toi, je satine consciencieusement mes aspérités. Bientôt je ne pourrais plus, mes excroissances poussent bien. J’ai la main verte et je tombe en émoi pour les fleurs de ma peau. Bientôt tu ne me reconnaîtras plus. L’orage aura fini par m’imprégner tout à fait. Mes humidités ne voudront plus de toi, de ta blancheur sèche. Et nous serons libérés de nous, enfin.

Non communiqué conditionnel.

J’ai hésité alors je me suis tu.
Comme toujours, comme tout le monde.
C’est l’expérience des mots de trop, un jour, qui laisse les autres dans la gorge
longtemps après.
J’ai pensé qu’il valait mieux pas. Parfois je devrais me passer de penser.
Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Certes non, je ne suis pas dupe.
Mais les mots, eux, sont restés là, coincés, tu, tués.
Lourds cadavres,
bien plus étouffants que ces mots maladroits qui ont fait mal.
Parce que les secrets continus à grandir, alors que les cris s’effacent.
Les mots ne se laissent pas si facilement enterrer, ils cherchent à sortir, à s’expliquer, à dire,
dire c’est pourtant si facile à taire.
De temps en temps même ils sortent, ailleurs, au mauvais moment, à la mauvaise personne –souvent la seconde, comme par hasard.

C’est pour cela que j’aurais dû les laisser sortir alors. Tout simplement.
Et peut-être m’aurais-tu entendu.
Au moins ça m’aurait évité de jongler avec ce temps que je maîtrise mal : le conditionnel.

Absent.

J’ai eu envie de te tuer.
Lacérer tes chairs de mes ongles blancs,
t'étouffer de mes mains sales.
Brûler ton venin.
Déchirer tes yeux, écraser ton visage,
noyer ta bouche, tes muqueuses sèches,
et te donner des coups de pieds, jusqu’à l’épuisement.
En silence,
j’ai pris tes entrailles entre mes ciseaux,
j’ai coupé en tout petits morceaux pour les jeter au vent.
Tu n’as rien retrouvé,
je n’ai rien perdu.

J’ai eu envie de te faire hurler, pour une fois.
Te donner un goût de vie dans la mort.
Te faire exister, enfin, du bout de ta douleur.

C’était bien.

Souris avant de mourir.

Oh ! Comment tu vis, comme tu as la bouche de travers.
Oh ! Comme tu restes distrait, comment tu t’évapores.
Tu cries encore tout bas, sous les planchers de tes impasses.
Tu te trahis quotidiennement, vautré dans ton regret en morceaux.
Insipide mort de constipé chronique,
un si petit morceau de néant immobile.
Pas encore assez gris, l’air encore en vie.
Passage en rétréci de tes rides vides.
Sous tes ciels lourds sans horizons,
tu ne connais même plus le vent.

Un jour je t’inviterai,
bientôt,
t’emporter un instant.
J’ai un masque d’élan, je te le prêterai volontiers.
Quand tu viendras, on ira voir la mer.
Tu n’auras pas envie, alors je te dirai que la mer a toutes les humeurs.
Nous ne dirons rien sur le trajet, tu entendras.
Je prendrai une glace, à la framboise.
Oh ! Comment je t’y noierai, comme le rouge t’ira bien.
Oh ! C’est une chance que l’on se soit rencontré, la mer et nous.

Entre temps.

En attendant minuit. Demain, un autre plus clair, ce qui n’existe pas. En attendant, je me sens lasse. Si lasse de la nuit et du jour, si lasse de rires, trop lasse pour en pleurer. En attendant, en voulant laisser passer le temps. Ne plus penser peut-être. Ne plus voir, laisser tout là, tel quel. Une petite fuite, une pause, n’importe quoi pour l’attente. N’importe quoi qui sera de toute façon meilleur que le temps me rattrapant. L’attente pour l’attente, sans vraiment attendre quelque chose ou quelqu’un, quoique ce soit de sauveur ou de motivant. Même plus ça. Sans dormir, sans être éveillée, une parenthèse de vie que j'ouvre, tout à coup. Mes épaules en craquent de n’avoir pas assez de haussements à leurs actifs, mes yeux en piquent de s'être écarquillés, et ma bouche en sèche des baisers que je refuse, juste maintenant petit chéri, juste maintenant peut-être. En attendant, va. Me chercher des fraises ou des prunes, vite en prenant ton temps, choisit bien les fruits et les racines, hésite encore sur ton chemin.


Comptoirs et comptoirs.

Quand les dimanches arrivent, les hommes sortent encore au port. Pour regarder les voiliers. Les grands cargos aux destinations exotiques, qui ne les prendront jamais. Car si les bateaux ont des jambes, ils n’ont pas de bras. C’est une aubaine : il n’y a plus assez de forçats pour ramer.

Les enfants jouent sur les quais ; les couples rêvent parfois dans la même direction et plus souvent de monter à bord du premier venu ; les célibataires, eux, cherchent l’âme sœur parmi les voiles. Aux ports, comme ailleurs, la vie s’écoule. Et quand la grande corne sonne, chacun frissonne.

Quand les dimanches sont cléments, on rentre fatigués de tant de voyages artificiels. Pas tout à fait rassasiés, car il manque toujours quelque chose, dans les ports. Ce qui les rendent si attirants, sans doute. On aime le même, c’est maladroit comme on a besoin de besoins.

Dans les ports, la nuit, il y a l’autre vie, aussi. Le port est un haut lieu social créant le voisinage des yachts et des pirates, des cordes à linge et lignes à ferrer. Des salons de thé de tous genres, rayons de glace vanille-chocolat et whisky sec. Les ports ont toujours cinquante portes de bistrot au bord.

Précipitations.

J’ai entendu la première goutte. Son explosion a résonné entre les rues, les vitres ont tremblés. Puis il y a eu le grand silence. J’ai remarqué que les oiseaux s’étaient tus depuis longtemps. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, déjà les trombes d’eau s’abattaient sur nous en muraille liquide. Infranchissable. Quelque chose disait l’anormal, mais on ne percevait plus rien d’autre que la pluie obsédante. Et puis on espérait se tromper. Que ça passerait. Ça n’est pas passé. Ça a empiré. C’était le déluge, au sens propre. Bientôt les murs commencèrent à fondre. De grandes coulées de peintures et de plâtres, de terre et de chaux grise. Les toitures elles-même fissurèrent. L'eau s'infiltrant partout, elle s'attaqua rapidement à toutes sortes de piliers, fondations, cloisons. Toutes les constructions étaient touchées par le phénomène.

Etrangement il y a eu assez peu d’inondations, la terre semblait pouvoir se gorger indéfiniment du ciel. Seuls quelques hallucinés construisirent des arches, les prix des bateaux s’envolèrent. Mais se fut à peu près tout. D’ailleurs plus rien ne pouvait voler. Les idées elles-mêmes s’étaient alourdies semblait-il. Au début on ne parlait que de ça : la pluie. Milles théories, plus encore de conférences, de scientifiques, de prédicateurs. Rien n’y fit, il pleuvait toujours. Les météores se foutaient bien des prévisions mathématiques ou métaphysiques. Alors, petit à petit, on s’y est fait. On a oublié le soleil et le bleu du ciel, et même ce que voulait dire le mot « sec ». On a pris notre partie de la situation. Pendant que les murs fondaient. On a maintenant tous les doigts plissés de la douche permanente, peut-être que nos enfants auront des branchies. Peut-être aurons-nous complétement oublié la musique dans ce vacarme continu, quand tous les murs auront fini de fondre.




Entre deux étoiles.


*
Parfois

les fumées

vagabondes

se bousculent

en volutes

indomptables.

Comme des lions.

Comme des chevelures

entremêlées.

Parfois les lions vagabonds

s’entremêlent

en voluptés indomptables. Comme une bousculade de crinières incandescentes.

Parfois les chevelures indomptables se bousculent

comme des volutes de lions

bleus et blancs et gris et jaunes et violets et roses.

Comme des volutes bousculées,

les fumées vagabondes se heurtent parfois à d’indomptables.

Comme des lions.

Comme des chevelures

entremêlées.

*

Expérience dominicale.

Il y a cette fille qui fait l’ombre du plein soleil. Elle repose sur fond vert, comme un oiseau. Les ailes repliées sur la poitrine, accueillent la tête et le cou. C’est un échassier : une jambe est rabattue sur l’autre. Une cigogne, un héron peut-être. Un flamant rose. Il fait trop clair pour le savoir.
Dans la ville, le grand marteau frappe comme un cœur colossal. C’est une sorte d'énorme pilon dans le port. Il ne semble servir à rien d’autre que cette vibration irradiant à travers les rues, les places, les bouches de métro, jusqu’à la terre qui frisonne sous le corps. Jusque dans l’herbe et les plumes inspirées par le vent. Jusque l’immense chevelure du géant figé dans le bois.

Il n’y aura pas de prisonnier.

L’amour en donjon
profond
sous-terrain
et les murs épais
moites
les pièces noires, humides et froides, terribles plafonds à hauteur de hanches et ouvertures en meurtrières.
La guerre, forcement. Les boulets rouges dans les flancs, les fortifications écrasantes tombent.
Le chaos, la fin, les ruines.
Plus de geôle ni de geôlier ni de geôlière.
Plus de prisonnier.
Il y aura des morts encore, des affrontements et des blessés, conflits armés.
Mais plus de fantômes, ni plus de retenus, ni plus de contrôle. La fin des lourdeurs administratives et scolaires.
L’amour en champs libérés, l’amour en terre d’accueil pour sans papiers.

Montée de sève.

C’est un appétit féroce. Je le sens courir sous ma peau, en frissons infernaux. C’est un tremblement, c’est un séisme d’ovaires, un instinct bousculant les anorexies planifiées. C’est le cerveau primitif devenu maître, la bête de l’homme, l’appel du mâle et du sexe et du plaisir, la faim d’orgasmes crochée au corps plus sûrement que les envies de reproduction. Car cela va au delà des impératifs de l’espèce, cela nous touche intimement, dans chaque noyau de cellules. Le diable peut-être. La folie vivante. Les chaleurs incoercibles, les bouleversantes érections, les programmes hormonaux qu’on voudrait distincts de nous tant ils échappent à notre contrôle. Ça nous échappe, oui. Pauvres innocents assoiffés de vie. Et c’est bon, voilà, c’est bon. Rien, plus rien ne dégoutte. Rien, plus rien ne compte pourvu que l’on se soulage le désir. Satisfaction des tensions libidinales en aller simple vers l’apaisement.

J’aurais voulu en être guérie à jamais, dans ma grande fatigue d’après course. Mais ça revient, malgré moi, malgré l’oubli. Ou peut-être à cause de lui, à cause des luis aux voix fortes. Tout ce que je voulais c’était m’en débarrasser, mourir un peu, pour de faux mais faire comme si. Je suis entière de la libido. Involontairement. Croyez-le bien. J’attends un sursis, j’attends l’aube, j’attends d’être rassasiée enfin, j’attends l’hiver prochain.

Infernal cycle vital

Puisque

Il y avait la bêtise et la rage, les abyssales déchirures et la douleur plus aiguë encore

La pluie acide des larmes dans les lapidations vengeresses

Les horribles hypocrisies en para-tonnerre

Les desserts bien trop chocolatés,

Pour être sincères.

Les furieux frissons de l’intérieur

glacé

Et ça revient en vagues, en échos aléatoires, plus destructeurs encore. Les barrages rompent alors dans l’euphorie libératoire. La terrible, la tragique liberté des tornades.

Cependant il y a l’oeil. Les yeux de cyclones, répits cyclopéens. La découverte soudaine des espaces, déserts imitant le paisible, comme une virginité d’entrailles à engloutir encore; cher Prométhée tu nous as offert le feu et nous t’en remercions, pauvres imbéciles.

Bien sûr, un jour, il n’en restera que des cendres. Ce grand apaisement des vivants. Le grand immobile. Un jour. Sûrement.

Pourtant

déjà

les premières oraisons printanières sur le sol fertilisé par la pourriture. Ainsi viendront éclore

les prochains fantômes, plus beaux encore. Eclatants. A éclater.

Remue-nocturne.

Trois jours
trois nuits
que la maison dort mal. De tous ses étages
fenêtres et portes closes dans sur l’obscur
cauchemar de chacun ; palpable fait divers cauchemars.
Personnelles et remarquablement communes insomnies ; ça remue dans les draps,
dans les corps, dans les rainures du parquet. Grincement.
Et tout cela se secoue étonné du jour venu dans l’agitation fébrile et grise. Le toit coule
sous les cernes, les douches râlent le petit matin, les cafés débordent, impuissants.
Trois nuits qu’on découvre la lune, le soleil, le ciel enfin. Oui, le ciel,
la terre et l’univers, l’air, les météores perturbateurs.
Dans chaque chambre chacun chacune ça
erre, ça crispe, ça hante et ça plisse les fronts.
Pour chaque chambre chacun et chacune
ça tarde à se ranger d’où ça vient.
Tout simplement.
Comme c’est venu.
A cause de la lune, du soleil, du ciel, de l’air, de l’eau.

Gestibulle à savonattes.

Nous avions rendez-vous
Tête-en-l’air
Au bar-bar, en face de la gare
Pied-à-terre
Nous nous sommes manqués
Main-au-feu
J’avais pourtant pris les devants
Bouche-cousue
En déculottant les bouchons
Oreilles-perçées
Le patron avait applaudit
Cul-de-jatte
Mon air dépité en fin de compte
Dos-large
Paya l’addition sans sourciller
Œil-de-verre
En échange d’un rock
Coude-à-coude.

Une vitre.



Frontière
invisible palpable, froideur du minéral fondu et
diffractant
Et la peau, la peau sur le verre
l’empreinte posée sur le lien au
dehors
la trace de la pulpe
des doigts
La main passe, ou est-ce
l’œil ? La paume signale les lignes de vie en impression
fortuite
L’appel au
derrière, de l’autre côté de l’axe d’
asymétrie
L’œil qui est main qui s’est aussi posée sur la vitre qui parle
fort et humblement.





D'après l'oeuvre de Jean Rustin
et sur une idée original de Milady Renoir.

http://www.rustin.be/
http://atelier-milady.skynetblogs.be/

Et pâques sonnera trois fois les cloches creuses.

Roucoulement sonore, impudique,
pervers du
lapin en chocolat dont on bouffe le cul
le ventre la
tête
et les œufs, les œufs creux comme les
orbites asexuées
des spectres d'égouts aux os usés
l’odeur, l’odeur remonte, donne la
nausée
dès le matin au 37°2 anal
avant après la douche
ouverte comme la mort
laissée en traces dégoulinantes pour pas
disparaître – peur, terreur, des suées frigides -
hurlantes, bavantes, remuantes
alors c’est beau dans l’esthétique instinctive des réveils
hagards
froids sans fond amers acides métalliques
hallucinant un tropique cancéreux
gangreneux
des plaies béantes saignantes purulentes
et sages
que la chaux vive viendra pointer pour le héros
aux fillettes sans
condition.

Pont à veine.

C’est un pont couvert de mousse sur le bois, car c’est un pont couvert en bois avec de la mousse. Le chemin est en cailloux blancs, des gros pavés un peu passé de gris si tu prenais une photo, mais tu lis donc il peut être blanc ou rose ou violet. Là il est blanc à cause des petits cailloux partout. Tu me suis ? Il traverse la Sarine. La Sarine est la rivière qui matérialise le rideau de rösti, la röstigraben incarnée au cœur de la vieille cité de Fribourg. Je te conseille d’y aller un jour, si possible celui du carnaval. D’abord parce que la ville est jolie, l’évènement carnaval, prétexte à une joyeuse journée, reste bien lisible – pour qui ouvre les yeux et les oreilles-, et puis il y a ce pont tout en bas. Après ou avant le pont, selon de quel côté tu viens, il y a un chemin qui part de la route principale. C’est un cul de sac, véridique, tu peux aller voir ça aussi. Du début du chemin tu verras bien les autres ponts de la ville. Ceux entre les plus hautes berges de la ville, en pierre de tour pour le plus proche, et en squelette de fer pour le moderne. Si tu suis le chemin, tu y rencontreras des gens singuliers, vas-y voir, ça en vaut la peine. Le chemin est entre deux falaises, c’est le fond d’un ravin, vert et humide comme dans la forêt tropicale. On n’y voit pas beaucoup plus le soleil, mais c’est bien plus frais l’été.

Voilà où se situe le héros de cette histoire. Mon héros enjambe une frontière linguistique, il a un pied francophone et l’autre germanique. Mon héros est couvert, il protège comme tout bon héros du genre des contes et histoires. Comme il est de bois, y a de la mousse, je l’ai déjà dis. Et puis des oiseaux qui vivent-là, des pigeons pour la plupart. Comme nous qui y passons. Quand tu le rencontreras ce héros-là, assis-toi sur ses bancs et lis l’histoire de la Sarine, du carnaval et du gentilhomme qui vit juste en face. Tu aimeras cette histoire et tu souriras peut-être en pensant à ma manie de mettre des héros partout.

Jour de fête.

C’est les cheveux au vent, une sublime mélodie filant le long des berges claires, l’azur et le bleu marin ; c’est les bras levés, la tête en l’air, tourner à la manière des derviches dans la légèreté de la transe ; c’est le rire qui tinte, la pluie fraîche sur le verre, les pétillances de bulles à papillons et les cascades de rayons multicolores ; c’est la chaleur du poil humain, la simplicité fractale du manteau de flocons, une cigarette partagée et le clignement de sourire ; c’est la bonté du chocolat qui fond, la gravité des ardeurs déployées et le souffle lent, c’est l’instant dérouté du temps ; c’est les solitudes complices des univers concomitants, c’est l’ivresse, c’est les cuivres, les bois et les percutions et c’est les chants profonds des cordes ; c’est l’électricité et l’anti-matière des rues, la fantaisie d’un paradoxe entretenu, la plaisanterie des hirondelles roses et la toxicité des arcs-en-ciel, la douce déchirure d’un coup de tonnerre ; c’est l’appétit des ogres, les valses à cent ans, le torticolis d’un beau cul qui passe. C’est.

L’interdit sur le banc public.

Il y a un banc, un large banc en bois peint, un confortable banc vert. Il invite à s’asseoir, forcement, ce banc auquel il manque presque la pipe. Donc on s’assoit. Après tout, on n’a rien de mieux à faire pour l’instant. Moi je croise les pieds et j’étends mes jambes. Je regarde un banc d’hirondelle pêchant autour du réverbère qui vient de s’allumer. Elles piaillent en Si et la ficelle entre les poteaux électriques les accompagne en chantant le wouh du courant d’air. Il fait bon. Au bout d’un moment j’ai envie de fumer. Les fumeurs font cela : ils marquent les instants agréables d’une satisfaction addictive en nicotine, notamment. Donc je sors mon paquet de tabac et mes feuilles, parce que j’ai envie de prendre mon temps, de savourer le présent. Je déguste l’odeur fraîche et fais glisser les fibres entre mes doigts agiles. Et puis je mouille doucement mon papier du bout de la langue. Je connais le goût qui viendra sur mes lèvres. C’est très sensuel, pour ne pas dire sexuel, cette histoire de clopes. Jusque dans le plaisir déclenché par l’arrivée de certaines molécules dans le sang. Mais j’assume ma libido d’adulte en enlevant les poils qui dépassent du papier. Je sais déjà le moment de la première bouffée, celle que l’on apprécie le plus. Après deux ou trois tafs, je parlerai un peu.
Quand je sors enfin mon briquet, je vois le panneau : « interdiction de fumer en public. »
En face, le gros nuage blanc de la centrale dessine un énorme sourire.

Mes très chers.

J’ai retrouvé mes gris-gris,
derrière tes tonnes d’absence,
mon cher.

J’ai rejoué avec mon barbatruc,
emmêlé dans tes filets en dentelle,
mon chair.

J’ai remis ma robe en soie noire,
et les perles pour parure,
mon cher !

J’ai relu mes mots de ta plume
sous les enveloppes de papier,
mon chaire.

Ces fois-là.

Alors la main l’a lâché. Sa tête l’a emmené vers l’avant et la jambe gauche a avancé. Il s’est redressé, cherchant des yeux la mère. Voyant les bras tendus à quelques centimètres, l’enfant a souri et a enchaîné les trois autres pas nécessaires.

La piste commençait par une jolie pente. Elle avait le cœur dans les oreilles. Elle réajusta ses gants, inspira et se mis dans l'inclinaison, toute en avant. Ses jambes tremblaient et elle devait se concentrer pour qu’elles gardent la bonne position. Elle fit un premier virage très large qui la ralentie et lui permis de s’assurer la trajectoire. Au fur et à mesure de sa descente, le rythme venait tout seul, les angles se faisaient plus aigus, les accroches plus sèches. Quand elle arriva en bas, elle fit voler la neige, les oreilles brûlantes et le cœur au bord de l’explosion.

Ce jour-là, on n’avait pas pris les bouées parce que le pique-nique était volumineux. Depuis qu’il était en maillot, Jean restait silencieux. Le dernier à l’eau, il était encore debout, mouillé jusqu’au torse, alors que les autres se dirigeaient déjà vers la grande planche fixée plus loin, là où personne n’a pied. En gonflant les joues, il plongea les mains jointes en avant. Le contact le surpris un peu, les premiers mouvements furent mal coordonnés. Pour rester à la surface, il accéléra. Trop rapide, peu ample, sa brasse lui demandait beaucoup d’efforts pour peu d’avancée. Il semblait épuisé quand il attrapa enfin le bord en bois. Quand il me regarda, il me sourit doucement.


Un chapeau ou un serpent qui a mangé un éléphant ?




Cag
ou-
ille
et L
uma
s’aima
ient d’un
amour à six km
heure en pointe tenta
culaire. Leurs molles étre
intes moussaient de lenteur
quand ils elles se faisaient du
pied collant à la rosée matinale.
Sourds, presque aveugles, muets
dans le partage végétal, leur com
me union n’avaient pas besoin
de cérémonie. Petits gris équi
voques étalaient leurs vies
mi-fille mi-garçon en
stries tatouées sur
leur secrètes
coquilles
vaga
bon
de
s
.





(j’ai toujours été nulle en dessin)

Départ.

Sur la ligne d’arrivée, il y a une phrase, comme sur la porte de Dante. La ligne d’arrivée nous parle, et dit :
« Toi qui prétends me franchir, retournes-toi et tu trouveras l’arrivée là même d’où tu es parti. »
Et, de fait, en me retournant, je vois une ligne semblable à l’autre bout de la piste. Je refais donc le chemin inverse, en me pressant moins tout de même, mais en restant dans mon couloir. Enfin sur la ligne d’en face, je lis une inscription que je n’avais pas vu tout à l’heure :
« Ici est le départ. Ouvres les yeux ! »
Effectivement, au-dessus de ce tracé, il y a la banderole : « Start »
Je me suis fait avoir sur toute la ligne : je dois me retaper le trajet pour la troisième fois. Pour le coup j’en ai assez des obstacles et des virages, je coupe au plus court, en diagonale au travers du terrain central aménagé pour le foot. Enfin revenue à mon point d'arrivée, je constate que la phrase n’a pas changé : l’arrivée se prend toujours pour un départ, sans doute parce qu’elle n’a pas de bannière au-dessus d’elle pour lui confirmer son statut. Mais aussitôt, en levant les yeux dans ce sens de la piste, je vois l’envers de la banderole de la ligne de départ. C’est écrit suffisamment gros pour que je puisse y lire « Finish ».
Attirée par ce nouveau paradoxe, je flâne dans cette direction en jouant le long du parcours. J’aime bien cette balade pour finir, je fais même un tour complet dans ce sens puis, comme j’ai encore plein d’énergie, dans l’autre. Malheureusement, ce drôle de manège ne change toujours rien à mes affaires. Et je commence à désespérer, je me sens un peu perdue. Je décide d’aller m’asseoir contre le poteau du but le plus proche pour faire le point sur la situation. A voir, c’est une cage de foot comme des milliers d’autres, ce qui est plutôt rassurant dans ma position. Je me pose donc sur l’herbe épargnée près du poteau de gauche. Comme j’ai besoin de me distraire un peu, je me mets à lire les graffitis. Mais ici, pas de « Charlie et bibi pour la vie », « Mort aux cons » ou autre dialecte urbain. Non, ce que j’y lis est écrit à la verticale et me laisse encore plus perplexe :
« Le but est sans importance, seul compte le chemin » signé : pensée bouddhiste.
Voilà bien le stade le plus confondant auquel je ne sois jamais arrivée. Je vais quand même pas tourner indéfiniment en rond sous prétexte que j’ai appris à lire ! Histoire de me dégourdir les jambes, et de mettre de la distance entre la barre transversale et moi, je me lève et sans trop y réfléchir, je me dirige vers le centre du terrain. Après tout, la solution se trouve peut-être au cœur des choses. Je me place donc au centre du cercle de mise en jeu, et, me servant de pivot, je tourne sur moi-même au moins deux fois dans chaque sens afin d’apprécier cette nouvelle perspective. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins, le stade dans son ensemble, le ciel, je salue tout le monde. Bonjour, bonjour, je suis sur l’axe de cette histoire. Bien sûr, personne ne me répond, bande de malpolis.
C’est en regardant le ciel, allongée dans mon cercle, que me vient une nouvelle idée : les gradins. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Je m’en vais de suite corriger mon point de vue, en m’élevant de ce pas. Je néglige la fosse aux supporters et saute à la volée les escaliers vers les loges VIP, tout en haut. C’est ouvert, je rentre et vais découvrir le panorama derrière la vitre blindée du dernier étage. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins qui montent vers le ciel, je salue tout le monde une nouvelle fois. Bonjour, bonjour, je suis au sommet de mon histoire. Personne ne répond mais je m’y attendais : au vu de l’épaisseur du verre, nul ne peut m’entendre.
En descendant tranquillement les marches une à une, je pense :
« Va falloir se débrouiller toute seule », quand j’aperçois un nouveau panneau noté : « Exit »
C’est comme ça que je me sors de cet allégorique palier.
Tout simplement.