Le mot


J’ai le mot bousculant. J’ai le mot d’esprit de contradiction. Un bête travail de 40 pages qui en fait 120 et, déjà, le mot n’en peut plus. A force d’élaguer des chapitres entiers, sous fond du « coupe-coupe » de Vanessa Paradis, j’ai le mot débordant. Envahissant. L’enfer. Le mot qui ne veut plus avoir de sens. Le mot léger qui se fout de la syntaxe scientifique. J’ai le mot vulgaire. Impoli. Le mot qui manque de discrétion, de retenue. Le mot de mauvaise famille. Voilà, j’ai le mot mauvais pour ce que j’ai. Je m’accroche à ce mot, unique, indissociable. Entier. J’ai le mot qui ne veut plus de virgule et qui met des points partout des points des points (…) des points… J’ai le mot qui veut en finir avec les trucs prédéfinis, à grandeur calculée et dûment mesurée. J’ai le mot en guerre avec le chiffre, la structure et la conclusion. J’ai le mot des mauvaises herbes folles multiples des champs de vocabulaires du paradigme dictionnaire des synonymes. Affligeant. J’ai le mot pour rire des jeux de sale gosse. Consternant de mal à propos, j’ai le mot qui a le mal d’espace. Tout à coup. J’ai le mot poil de chat qui traine partout, s’accroche, se multiplie spontanément. Des coups à en retrouver pendant 20 ans dans le tissu de 40 générations de textes. Quarante foutues et maudites pages de trop ; quarante foutues et maudites pages plus tard ; 20.000 mots. En fait, 18.867. 18.867 ridicules petits mots trop petits mots ridicules. Dire que des yeux, autres que les miens, vont devoir se coltiner ça. Tu m’étonnes que le mot se sente vexé. Pauvre petit, j’ai pitié, tiens, tu es tombé bien bas. C’est quand même pas une raison pour faire le mot gâté. Capricieux. Un jour on fera du pluriel ensemble, au lieu d’un mémoire, on écrira nos mémoires.


Ephémère

Je t’ai vu, hier, sortir de la boulangerie. J’ai pressé le pas. Comme le battement de cœur. Tu marchais vite, dans la foule. Tu t’éloignais. De ta démarche souple, je perdais vite le fil. Tout me revenait, soudain. J’ai hésité, un instant.

Je t’ai vu.

C’était juste une ombre.


Il a mourru


L’absent mort devient présent, un instant. Je veux dire,

la mort de l’absent ne fait qu’un vide de rien, mine de rien. Comprenez,

quand il mort, pire, quand j’ai appris qu’il était mort, j’ai plus pensé à moi, qu’à lui. Évidemment,

impossible de me rappeler la date, je crois que c’était samedi, mais je ne l’ai su que le lundi. Ce qui signifie

qu’il était déjà enterré, et mort. Comme si

il n’avait jamais existé, dans l’absence. Par conséquent,

l’inexistence de l’absent me le ramène du passé. C’est dire

si j’ai de l’avenir.


Mon père est mort.

Mon père est mort. Je l’ai appris par téléphone de ma marraine, qui est aussi la sœur de ma mère. Ma tante, donc, a lu son avis d’obsèques dans la rubrique nécrologique locale. C’est une chance en somme, ma mère a appris qu’elle était veuve 18 mois après la mort de son mari, qui n’est pas mon père. D’ailleurs ma mère ne sait peut être pas, pour mon père. Il faut que je pense à le lui dire.

Mon père est mort. Je crois que l’enterrement était hier, mais je n’ai pas retenu cette information. Je n’ai de toute façon pas l’intention d’envoyer des condoléances à sa veuve et ses enfants.

Mon père est mort à 83 ans. Je ne le savais pas si vieux. Je l’aurais donc côtoyé un an et demi, en tout. Ça y est, le chiffre est définitif. Mon père est mort, donc, et j’ai beau le répéter, je n’ai de lui que l’absence de vide que je calcule en heure de présence.

Mon père est mort, le salaud, alors que je ne me suis jamais sentie si vivante. On n’était pas fait pour s’entendre, décidément. De tous les sentiments que cet homme là a pu m’inspirer, il ne reste donc que cette affreuse indifférence.

Qu’il repose en paix, pourrait-je donc dire, si je ne m’en foutais complètement.


Cette rage au fond de moi


Tous mes combats du dedans, du dehors mes rencontres avec moi; toutes mes fureurs de vie mes dents, mes os, mes chairs mes passions et mes angoisses; le feu qui ne consume pas les flammes qui construisent les élans vers les non-retours en arrière; toutes ces mouvances entre moi, entre toi, entre nous les ondes particule-ières du lien; ces courants pas toujours bienveillants les vagues qui m'emportent vers des au delà du tout près; ce dragon en moi sur ma peau et mon âme tatoué cette rage tout au fond de moi; l'amour enfin, ultime aller vers d'un vol sans parachute une fleur entre les dents;

cette vie-là, voyez-vous,

cette vie-là, porte la vie,

et me nourrit.


Parfaire le silence.


Et puis c'est reparti. Comme ça, d'un coup, sans qu'on s'y attende vraiment. On avait encore l'oreille tendue, par habitude. Un chuchotement, peut-être. Un murmure, le discret glas du lointain, le tremolo du tram d'en bas de la rue. On était à l'affut du moindre bruit. Du moindre signe. Au cas où. Prévoyant conducteur qui met sa ceinture comme tout le monde; comme si ne plus sentir cette bande protectrice sur le cœur, c'était déjà mourir. On vivait ainsi, le sonotone à fond, depuis longtemps, depuis des lustres de secondes cristallisées. On vérifiait les piles, les dimanches pluvieux. Mais non, rien. Tout ce silence des crissements quotidiens se répétait inlassablement. Comme le bruit de fond de l'univers, les grésillements des TV en fin de programmes, le vent du désert. Il était là, absent par habitude car nos cerveaux ont cette capacité de négliger, d'effacer, de ne même plus percevoir l'ordinaire.

Alors, évidement, quand c'est parti, comme ça, brusquement, hurlement, nos tympans ont crus éclater. De ça, on n'avait plus l'habitude. On n'a plus entendu, l'espace d'un instant, que nos propres palpitations affolées par le choc thermique. Ce premier bruit, le tambour du dedans, à rempli tout le dehors. Il s'est étendu, tout autour, très loin, de plus en plus loin, comme un écho d'où les autres sons semblaient provenir. On pensait y voir des entrelacs, des réseaux de soi, des toiles impressionnistes. Les drôles de chemins d'hier et de demain, ensemble, simultanément, sur la même onde, la même vague sonore. Comme une illusion de perfection nous échappant déjà, dans un drôle de minutage.

Ça va nous couter cher en orthophonie.

Où es-tu revenue ?

(Et)
paire
due
Notre perdure
au point d'origine, quelque pôle magnétique
menaçant d'effondrement
Revenant, entre nous. Antre donc engouffre nous là dedans sans reprendre ton souffle tu te noies du poumon avant pendant que la poupe sombre doucement. Entre

juste sur la peau, sous mon nez, au dehors, ton souffle. Donc. Reviens d'où je suis partie.
Tu voulais. Bonne idée. On ne sait jamais. Remodeler cette place. Tant le souvenir s'échappe vaste avec. Tant le rouge a coulé, quelque part, entre tes silences et tes croches, ça respire, mal à contre, temps. Tant tes rêves étaient courts dans nos nuits blanches. Tes toutes impaires avec. J'ai confondu. Tu voulais pendant que. Chère
méconnue
chair inconnue
Notre paire est aux cieux des mères schizophrènes. Sauvages.
Et. A l'autre bout. Tu me dira, je suis à bout. Je ne savais pas du pied droit, tu recommences de la main gauche. On ne sait plus faire que ça.
(E)perdues.

Nyctalopie.


Je voulais dormir. Ça c'est certain. Je voulais dormir, dans mes beaux draps en satin, à crédit de 178 mois, de chez Ikéa. Je tournais dans ce lit, dans mon lit, sur cette propriété privée de mon sommeil. En tout cas je l'attendais ferme, le sommeil. J'avais chaud, je crois. J'ai viré le duvet 15 cm, violemment. Comme une déchirure dans l'espace-temps.


Je ne voulais pas dormir. Il le fallait pourtant, le réveil, le travail, la vie qui commence à 6h. Mais je voulais pas. Je savais exactement pourquoi, à ce moment-là. Je ne voulais pas. C'était dangereux cet abandon. Louche. Si je m'endormais maintenant, je finirai mal. Je crois que je serais morte, si je m'étais endormie dans mes draps cotons, en solde chez La Redoute. Comme un linceul pour chemise de nuit.


Août 09