Jour de fête.

C’est les cheveux au vent, une sublime mélodie filant le long des berges claires, l’azur et le bleu marin ; c’est les bras levés, la tête en l’air, tourner à la manière des derviches dans la légèreté de la transe ; c’est le rire qui tinte, la pluie fraîche sur le verre, les pétillances de bulles à papillons et les cascades de rayons multicolores ; c’est la chaleur du poil humain, la simplicité fractale du manteau de flocons, une cigarette partagée et le clignement de sourire ; c’est la bonté du chocolat qui fond, la gravité des ardeurs déployées et le souffle lent, c’est l’instant dérouté du temps ; c’est les solitudes complices des univers concomitants, c’est l’ivresse, c’est les cuivres, les bois et les percutions et c’est les chants profonds des cordes ; c’est l’électricité et l’anti-matière des rues, la fantaisie d’un paradoxe entretenu, la plaisanterie des hirondelles roses et la toxicité des arcs-en-ciel, la douce déchirure d’un coup de tonnerre ; c’est l’appétit des ogres, les valses à cent ans, le torticolis d’un beau cul qui passe. C’est.

L’interdit sur le banc public.

Il y a un banc, un large banc en bois peint, un confortable banc vert. Il invite à s’asseoir, forcement, ce banc auquel il manque presque la pipe. Donc on s’assoit. Après tout, on n’a rien de mieux à faire pour l’instant. Moi je croise les pieds et j’étends mes jambes. Je regarde un banc d’hirondelle pêchant autour du réverbère qui vient de s’allumer. Elles piaillent en Si et la ficelle entre les poteaux électriques les accompagne en chantant le wouh du courant d’air. Il fait bon. Au bout d’un moment j’ai envie de fumer. Les fumeurs font cela : ils marquent les instants agréables d’une satisfaction addictive en nicotine, notamment. Donc je sors mon paquet de tabac et mes feuilles, parce que j’ai envie de prendre mon temps, de savourer le présent. Je déguste l’odeur fraîche et fais glisser les fibres entre mes doigts agiles. Et puis je mouille doucement mon papier du bout de la langue. Je connais le goût qui viendra sur mes lèvres. C’est très sensuel, pour ne pas dire sexuel, cette histoire de clopes. Jusque dans le plaisir déclenché par l’arrivée de certaines molécules dans le sang. Mais j’assume ma libido d’adulte en enlevant les poils qui dépassent du papier. Je sais déjà le moment de la première bouffée, celle que l’on apprécie le plus. Après deux ou trois tafs, je parlerai un peu.
Quand je sors enfin mon briquet, je vois le panneau : « interdiction de fumer en public. »
En face, le gros nuage blanc de la centrale dessine un énorme sourire.

Mes très chers.

J’ai retrouvé mes gris-gris,
derrière tes tonnes d’absence,
mon cher.

J’ai rejoué avec mon barbatruc,
emmêlé dans tes filets en dentelle,
mon chair.

J’ai remis ma robe en soie noire,
et les perles pour parure,
mon cher !

J’ai relu mes mots de ta plume
sous les enveloppes de papier,
mon chaire.

Ces fois-là.

Alors la main l’a lâché. Sa tête l’a emmené vers l’avant et la jambe gauche a avancé. Il s’est redressé, cherchant des yeux la mère. Voyant les bras tendus à quelques centimètres, l’enfant a souri et a enchaîné les trois autres pas nécessaires.

La piste commençait par une jolie pente. Elle avait le cœur dans les oreilles. Elle réajusta ses gants, inspira et se mis dans l'inclinaison, toute en avant. Ses jambes tremblaient et elle devait se concentrer pour qu’elles gardent la bonne position. Elle fit un premier virage très large qui la ralentie et lui permis de s’assurer la trajectoire. Au fur et à mesure de sa descente, le rythme venait tout seul, les angles se faisaient plus aigus, les accroches plus sèches. Quand elle arriva en bas, elle fit voler la neige, les oreilles brûlantes et le cœur au bord de l’explosion.

Ce jour-là, on n’avait pas pris les bouées parce que le pique-nique était volumineux. Depuis qu’il était en maillot, Jean restait silencieux. Le dernier à l’eau, il était encore debout, mouillé jusqu’au torse, alors que les autres se dirigeaient déjà vers la grande planche fixée plus loin, là où personne n’a pied. En gonflant les joues, il plongea les mains jointes en avant. Le contact le surpris un peu, les premiers mouvements furent mal coordonnés. Pour rester à la surface, il accéléra. Trop rapide, peu ample, sa brasse lui demandait beaucoup d’efforts pour peu d’avancée. Il semblait épuisé quand il attrapa enfin le bord en bois. Quand il me regarda, il me sourit doucement.


Un chapeau ou un serpent qui a mangé un éléphant ?




Cag
ou-
ille
et L
uma
s’aima
ient d’un
amour à six km
heure en pointe tenta
culaire. Leurs molles étre
intes moussaient de lenteur
quand ils elles se faisaient du
pied collant à la rosée matinale.
Sourds, presque aveugles, muets
dans le partage végétal, leur com
me union n’avaient pas besoin
de cérémonie. Petits gris équi
voques étalaient leurs vies
mi-fille mi-garçon en
stries tatouées sur
leur secrètes
coquilles
vaga
bon
de
s
.





(j’ai toujours été nulle en dessin)

Départ.

Sur la ligne d’arrivée, il y a une phrase, comme sur la porte de Dante. La ligne d’arrivée nous parle, et dit :
« Toi qui prétends me franchir, retournes-toi et tu trouveras l’arrivée là même d’où tu es parti. »
Et, de fait, en me retournant, je vois une ligne semblable à l’autre bout de la piste. Je refais donc le chemin inverse, en me pressant moins tout de même, mais en restant dans mon couloir. Enfin sur la ligne d’en face, je lis une inscription que je n’avais pas vu tout à l’heure :
« Ici est le départ. Ouvres les yeux ! »
Effectivement, au-dessus de ce tracé, il y a la banderole : « Start »
Je me suis fait avoir sur toute la ligne : je dois me retaper le trajet pour la troisième fois. Pour le coup j’en ai assez des obstacles et des virages, je coupe au plus court, en diagonale au travers du terrain central aménagé pour le foot. Enfin revenue à mon point d'arrivée, je constate que la phrase n’a pas changé : l’arrivée se prend toujours pour un départ, sans doute parce qu’elle n’a pas de bannière au-dessus d’elle pour lui confirmer son statut. Mais aussitôt, en levant les yeux dans ce sens de la piste, je vois l’envers de la banderole de la ligne de départ. C’est écrit suffisamment gros pour que je puisse y lire « Finish ».
Attirée par ce nouveau paradoxe, je flâne dans cette direction en jouant le long du parcours. J’aime bien cette balade pour finir, je fais même un tour complet dans ce sens puis, comme j’ai encore plein d’énergie, dans l’autre. Malheureusement, ce drôle de manège ne change toujours rien à mes affaires. Et je commence à désespérer, je me sens un peu perdue. Je décide d’aller m’asseoir contre le poteau du but le plus proche pour faire le point sur la situation. A voir, c’est une cage de foot comme des milliers d’autres, ce qui est plutôt rassurant dans ma position. Je me pose donc sur l’herbe épargnée près du poteau de gauche. Comme j’ai besoin de me distraire un peu, je me mets à lire les graffitis. Mais ici, pas de « Charlie et bibi pour la vie », « Mort aux cons » ou autre dialecte urbain. Non, ce que j’y lis est écrit à la verticale et me laisse encore plus perplexe :
« Le but est sans importance, seul compte le chemin » signé : pensée bouddhiste.
Voilà bien le stade le plus confondant auquel je ne sois jamais arrivée. Je vais quand même pas tourner indéfiniment en rond sous prétexte que j’ai appris à lire ! Histoire de me dégourdir les jambes, et de mettre de la distance entre la barre transversale et moi, je me lève et sans trop y réfléchir, je me dirige vers le centre du terrain. Après tout, la solution se trouve peut-être au cœur des choses. Je me place donc au centre du cercle de mise en jeu, et, me servant de pivot, je tourne sur moi-même au moins deux fois dans chaque sens afin d’apprécier cette nouvelle perspective. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins, le stade dans son ensemble, le ciel, je salue tout le monde. Bonjour, bonjour, je suis sur l’axe de cette histoire. Bien sûr, personne ne me répond, bande de malpolis.
C’est en regardant le ciel, allongée dans mon cercle, que me vient une nouvelle idée : les gradins. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Je m’en vais de suite corriger mon point de vue, en m’élevant de ce pas. Je néglige la fosse aux supporters et saute à la volée les escaliers vers les loges VIP, tout en haut. C’est ouvert, je rentre et vais découvrir le panorama derrière la vitre blindée du dernier étage. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins qui montent vers le ciel, je salue tout le monde une nouvelle fois. Bonjour, bonjour, je suis au sommet de mon histoire. Personne ne répond mais je m’y attendais : au vu de l’épaisseur du verre, nul ne peut m’entendre.
En descendant tranquillement les marches une à une, je pense :
« Va falloir se débrouiller toute seule », quand j’aperçois un nouveau panneau noté : « Exit »
C’est comme ça que je me sors de cet allégorique palier.
Tout simplement.

Quand j'étais petite, j'avais été grande.

Q
uand
je serai
grande je sus
pendrai mes bonds
pour ne pas me cogner
au plafond. Je serai grande
à ne plus voir mes pieds. Je serai
haute comme une tour dont le sommet
se perd dans la brume. Je m’élèverai jusqu’
aux aires. Mon colossal séant se posera sur les
montagnes gelées. Les géants seront mes amis et
on fera trembler la terre de nos tonitruants dialogues.
J’aurai une ombre qui portera la nuit et ma tête sera une
éclipse de lune. Et puis j’aurai toujours pied dans mes abysses.
"Quand je serai grande je m’aurai tuée" et je serai toute
petite
.

Histoire de boîtes.

Donc le tiroir, la boîte, le cadre, les contenants. De ce que nous étiquetons, rangeons, classifions, enterrons, cachons, définissons, réunissons, préservons, décomptons, délimitons.

J’avais préparé l’histoire d’un tiroir, généreusement promu au sein des saints - sans faute de syntaxe - des lieux d’archivage, une belle promotion mobilière. Mais, comme j’ai plus d’un tiroir à malice dans mon sac à histoires – ou est-ce l’inverse? – j’ai eu soudain à faire à une vraie cabale ménagère. Chacun de mes tiroirs voulant faire parti de l’histoire du même nom. Aussi, j’ai décidé, en mon âme et conscience, de vous révéler un fait véridique de mon enfance, comme ça, gratos.

C’était un petit tiroir magique, un de ces petits jeux Kinder ou Pif-gadget. En fait c’était deux tiroirs l’un dans l’autre, et un ingénieux mécanisme permettait de fixer le tiroir interne à son double externe. De telle sorte que, selon la position, soit les deux, soudés, s’ouvraient et révélaient le contenu de l’objet ; soit seul l’extérieur s’ouvrait, donnant l’illusion d’un tiroir vide. Ce jouet fit véritablement fureur dans ma cour de récré pendant au moins une semaine. Bien-sûr à l’époque c’est le tour de passe-passe, et puis l’idée de l’endroit secret, qui m’attiraient. Mais, tout de même, un tiroir dans un autre tiroir, décidément, malgré la simplicité du truc, c’est une histoire déjà drôle en soi. Non ? L'histoire dans l'histoire à tiroir. Non ? Bon d’accord, j’ai un sens de l’humour lamentable. Il est actuellement dans un carton parmi d’autres cartons, forcement.

Toujours est-il, que si vous ne connaissiez pas le tour et que je vous présentais le « tiroir magique », vous auriez le droit à vos deux minutes de curiosité amusée. Maintenant, bien sûr, c’est trop tard. Comme quoi les magiciens, en gardant leurs secrets, préservent le plaisir de leurs assistances.

Donc le tiroir, la boîte, le cadre et les étiquettes, le pire, c’est que quand on croit en avoir cerné le tour, c’est précisement là qu’on se fait avoir.


Histoire de tiroirs.


C’est l’histoire d’une boite. Une simple boite, en bois nu, disons en pin brut. Elle a deux petites charnières cuivrées et un loquet pour la maintenir fermée. La paroi intérieure est rabotée pour que le couvercle s’y emboîte : on ne peut pas voir ce qu’il y a dedans. Pourtant il y a quelque chose, dedans cette boite. Parce que quand on secoue ça fait du bruit. Un son un peu mat et étouffé qui fait penser à un seul objet, plutôt volumineux par rapport au contenant. L’idéal, pour mon histoire, serait qu’elle contienne une autre boite. Mais en fait, elle n’a vraiment rien de la poupée Russe, cette boite rectangulaire et pâle.

La boite est pour l’instant sur une étagère de salon, pas très loin de la télé. Mais il y a une heure, elle était dans la chambre des parents. Elle est assez mobile, pour tout dire, pour une boite. Elle change de lieu mais aussi relativement souvent de mains. Je ne dis pas de « propriétaire », puisqu’il s ‘avère qu’elle n’appartient à personne. Elle navigue parmi nous, donc, et le bois non traité, en y regardant de plus près, porte l’empreinte de chacun en une jolie patine. Il y a une trace d’impact sur l’arrière et les coins supérieurs du devant sont plus sombres. Les trois points de cuivre, par contre, resplendissent. De tout côté exhalent mille odeurs. Le bois tout d’abord qui saute aux narines, mais aussi la fumée et le cacao, le tabac, le moisi, la poussière, la lavande, l’orange, le musc, l’herbe sèche, la rose et le santal, l’éther.

Comme c’est son histoire, il aurait fallu, afin d’en faire un texte palpitant, qu’il lui arrive de l’extraordinaire. Par exemple, être emmenée par des cambrioleurs dans la nuit noire, ou bien encore échapper à toute sorte de cataclysmes plus ou moins naturels. Mais c’est pas son genre, je n’y peux rien. Jusque dans son histoire, cette boite ne paye pas de mine. Elle a pourtant connu toute sorte de lieux et d’emplois : serre-livre, marchepied, cales en tout genre… Mais, tout de même un fait étrange, jamais de boite à véritablement parler. C’est à dire, pour reprendre la définition d’une boite : « Contenant rigide en bois, carton, métal ou matière plastique, avec ou sans couvercle, dans lequel on met des objets ou des produits divers. » Or, justement, il semble que personne n’ai jamais utilisé cette boite pour y mettre quoique ce soit, hormis ce qu’il y a déjà. Une boite qui semble n'être jamais ouverte. On pourrait même se demander si c’est encore une boite. Quoiqu’il en soit, elle transporte tout de même quelque chose, qui lui donne son statut de contenant quand bien même elle en a perdu concrètement la fonction.

Pour garder encore de l’intérêt à cette histoire, j’aurais pu tricher en vous racontant la vie de la boite au travers de la vie des gens qui l’ont tenu. Mais vous conviendrez que ça prendrait tout un roman, on n’est pas là pour ça. Et puis fondamentalement, qu’est-ce que sa vie a réellement changé pour elle ? Quelque soit les personnes qu’elle a pu côtoyer, la boite est restée une boite, cette boite, à peu de chose près. Intrinsèquement, on peut dire que cette boite, ainsi que très probablement son contenu, sont restés quasiment les mêmes, au cours du temps. Qu’est-ce c’est que cette histoire où le temps n’a pas d’intérêt ? me direz-vous. C’est une histoire de boite, que je vous répondrai. Une boite qui ne porte pas d’étiquette.


Cadres exquis.


L’ennui avec les cadres-havres exquis,

c’est que le voisin de droite vous fait dire les bananes panoupanou.


Voici le père, voilà la mère, et ici le enfants.

Voyez le chien et le chat, la photo de grand-mère dans l’entrée.

Ça craque les nerfs de clichés, vous trouvez pas ?

Pourtant c’est comme ça, regardez par vous-même.

C’est les images qui disent autre chose dès qu’on s’y pose.


A quel moment, précisément, la bande magnétique s’est-elle figée,

j’ai déjà oublié que je ne l’ai jamais su.


Une onde numérique plus tard, entre la compagne du dîner.

Shéhérazade aux milles visages d’une seule histoire.

En zoulous rebelles, les gosses se laissent aller à la curiosité,

pendant que les adultes avalent leurs soupes en dialecte purée.

Crise d’épilepsie sur la verte pelouse qu’on n’arrosera plus.


A quel instant, le calque s’est-il dissout, définitivement,

à croire qu’il n’avait jamais existé.


Et puis y a le petit héros de l’histoire, forcement.

Lui il fera autrement, c’est à dire tout pareil à l’opposé.

Lui c’est l’image suivante, c’est sans fin.

Pour l’instant il est encore boutonneux, un baiser et au lit.

Mais il pourrait bien être l'antagoniste dictateur de demain.


A quel passage le chemin s’est-il tranquillement effacé,

même les indications semblent n’avoir jamais été.