T'avais pourtant promis.

T’avais quand même mis ta bouteille d’eau sur le porte-bagages. T’es un homme prévoyant. T’es sorti avant minuit, la nuit était claire par la lune, pas besoin de la dynamo. Elle marche pas de toute façon. Tu es parti sur la route de campagne, la route qui mène à la forêt. Mais toi tu n’allais pas si loin. Les animaux des pâturages faisaient des ombres dormantes et ruminantes. De temps en temps, un réveil hagard s’entendait. Et les grillons aussi. Maudits insectes insolemment ronronnant. Et le bruit de ton vélo sur le bitume. Celui des pédales qui lâchent et des changements de vitesses. Tu ramais sec dans la montée. Sacrée montée. Tu transpirais dans l’absence de pensées, luttant de toute ton énergie contre la cinétique de la pesanteur. Le coeur battant à tes oreilles. Arrivé au château d’eau, t’as bifurqué à gauche, vers le champ de maïs. T’as posé la bicyclette contre le grand chêne au bord du chemin et t’as continué à pied. Tout droit dans les lignes de fuites d’un horizon végétal et rectiligne. Après il a fallu couper à travers. Deux ou trois pieds y ont laissé la vie. Et puis t’es arrivé au bout. Le grand trou à peine visible sous les hautes herbes de la nuit. Mais toi tu savais qu’il était là. Le grand trou de ta destination. T’as même pas osé t’approcher à moins de deux mètres : le sol est friable par là, un accident est vite arrivé. Alors tu t’es senti un peu con. Et t’as eu froid. Satanée montée : elle t’avais pris toute tes forces et maintenant t’étais trempé et t’avais froid. Tu voyais pas bien de là où tu étais, alors t’as décidé de redescendre. Pour bien voir, d’en bas. T’as fait tout le tour, 8 kilomètres tout de même, mais c’était plus facile parce que ça glissait, ça dévalait, ça coulait, tout seul. Tu t’es mis sur le gros rocher affleurant. Et tu regardais le sommet de la falaise. Tu calculais la hauteur : bien 30 mètres avant l’eau. La paroi creusée portait encore les stigmates griffés des machines et des hommes, en ombres menacantes. Et tu regardais le sommet de la vieille carrière. Te délectant de l’idée du vide, vu d’en bas. Et les heures ont passées, délicieuses, dans la pensée d’un saut, sur ton rocher. Profondeur de la mare stagnante : 10 centimètres, un mètre par endroit. Même pas de quoi se noyer. Par contre, en sautant, t’aurais pu te faire mal. C'est sûr.
Les oiseaux se sont mis à chanter le lever du jour. Alors t’es rentré. T’as fait demi-tour, nostalgique déjà de ces heures de mort savoureuse. Une fois sur la selle, le mécanisme des jambes c’est mis en route tout seul. Rapidement, t’as pensé qu’il fallait se dépêcher. Rentrer avant qu’elle ne puisse voir la lettre sur l’oreiller. T’as pas fait de bruit, et t’es rentré. Aujourd’hui tu n’iras pas travailler, parce que sans tes 8 heures de sommeil tu vaux rien. Tu prendras un RTT et tu feras la sieste, en repensant à ta nuit.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

no comment.
Immédiatement plongé dans cette nuit que tu décris.
Lecture fluide.
Aussi naturelle qu'une descente en vélo.
"ombres dormantes et ruminantes"...
La lettre sur l'oreiller.
Court et tout est dit.
Ce qui est difficle.