Histoire de tiroirs.


C’est l’histoire d’une boite. Une simple boite, en bois nu, disons en pin brut. Elle a deux petites charnières cuivrées et un loquet pour la maintenir fermée. La paroi intérieure est rabotée pour que le couvercle s’y emboîte : on ne peut pas voir ce qu’il y a dedans. Pourtant il y a quelque chose, dedans cette boite. Parce que quand on secoue ça fait du bruit. Un son un peu mat et étouffé qui fait penser à un seul objet, plutôt volumineux par rapport au contenant. L’idéal, pour mon histoire, serait qu’elle contienne une autre boite. Mais en fait, elle n’a vraiment rien de la poupée Russe, cette boite rectangulaire et pâle.

La boite est pour l’instant sur une étagère de salon, pas très loin de la télé. Mais il y a une heure, elle était dans la chambre des parents. Elle est assez mobile, pour tout dire, pour une boite. Elle change de lieu mais aussi relativement souvent de mains. Je ne dis pas de « propriétaire », puisqu’il s ‘avère qu’elle n’appartient à personne. Elle navigue parmi nous, donc, et le bois non traité, en y regardant de plus près, porte l’empreinte de chacun en une jolie patine. Il y a une trace d’impact sur l’arrière et les coins supérieurs du devant sont plus sombres. Les trois points de cuivre, par contre, resplendissent. De tout côté exhalent mille odeurs. Le bois tout d’abord qui saute aux narines, mais aussi la fumée et le cacao, le tabac, le moisi, la poussière, la lavande, l’orange, le musc, l’herbe sèche, la rose et le santal, l’éther.

Comme c’est son histoire, il aurait fallu, afin d’en faire un texte palpitant, qu’il lui arrive de l’extraordinaire. Par exemple, être emmenée par des cambrioleurs dans la nuit noire, ou bien encore échapper à toute sorte de cataclysmes plus ou moins naturels. Mais c’est pas son genre, je n’y peux rien. Jusque dans son histoire, cette boite ne paye pas de mine. Elle a pourtant connu toute sorte de lieux et d’emplois : serre-livre, marchepied, cales en tout genre… Mais, tout de même un fait étrange, jamais de boite à véritablement parler. C’est à dire, pour reprendre la définition d’une boite : « Contenant rigide en bois, carton, métal ou matière plastique, avec ou sans couvercle, dans lequel on met des objets ou des produits divers. » Or, justement, il semble que personne n’ai jamais utilisé cette boite pour y mettre quoique ce soit, hormis ce qu’il y a déjà. Une boite qui semble n'être jamais ouverte. On pourrait même se demander si c’est encore une boite. Quoiqu’il en soit, elle transporte tout de même quelque chose, qui lui donne son statut de contenant quand bien même elle en a perdu concrètement la fonction.

Pour garder encore de l’intérêt à cette histoire, j’aurais pu tricher en vous racontant la vie de la boite au travers de la vie des gens qui l’ont tenu. Mais vous conviendrez que ça prendrait tout un roman, on n’est pas là pour ça. Et puis fondamentalement, qu’est-ce que sa vie a réellement changé pour elle ? Quelque soit les personnes qu’elle a pu côtoyer, la boite est restée une boite, cette boite, à peu de chose près. Intrinsèquement, on peut dire que cette boite, ainsi que très probablement son contenu, sont restés quasiment les mêmes, au cours du temps. Qu’est-ce c’est que cette histoire où le temps n’a pas d’intérêt ? me direz-vous. C’est une histoire de boite, que je vous répondrai. Une boite qui ne porte pas d’étiquette.


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