Départ.

Sur la ligne d’arrivée, il y a une phrase, comme sur la porte de Dante. La ligne d’arrivée nous parle, et dit :
« Toi qui prétends me franchir, retournes-toi et tu trouveras l’arrivée là même d’où tu es parti. »
Et, de fait, en me retournant, je vois une ligne semblable à l’autre bout de la piste. Je refais donc le chemin inverse, en me pressant moins tout de même, mais en restant dans mon couloir. Enfin sur la ligne d’en face, je lis une inscription que je n’avais pas vu tout à l’heure :
« Ici est le départ. Ouvres les yeux ! »
Effectivement, au-dessus de ce tracé, il y a la banderole : « Start »
Je me suis fait avoir sur toute la ligne : je dois me retaper le trajet pour la troisième fois. Pour le coup j’en ai assez des obstacles et des virages, je coupe au plus court, en diagonale au travers du terrain central aménagé pour le foot. Enfin revenue à mon point d'arrivée, je constate que la phrase n’a pas changé : l’arrivée se prend toujours pour un départ, sans doute parce qu’elle n’a pas de bannière au-dessus d’elle pour lui confirmer son statut. Mais aussitôt, en levant les yeux dans ce sens de la piste, je vois l’envers de la banderole de la ligne de départ. C’est écrit suffisamment gros pour que je puisse y lire « Finish ».
Attirée par ce nouveau paradoxe, je flâne dans cette direction en jouant le long du parcours. J’aime bien cette balade pour finir, je fais même un tour complet dans ce sens puis, comme j’ai encore plein d’énergie, dans l’autre. Malheureusement, ce drôle de manège ne change toujours rien à mes affaires. Et je commence à désespérer, je me sens un peu perdue. Je décide d’aller m’asseoir contre le poteau du but le plus proche pour faire le point sur la situation. A voir, c’est une cage de foot comme des milliers d’autres, ce qui est plutôt rassurant dans ma position. Je me pose donc sur l’herbe épargnée près du poteau de gauche. Comme j’ai besoin de me distraire un peu, je me mets à lire les graffitis. Mais ici, pas de « Charlie et bibi pour la vie », « Mort aux cons » ou autre dialecte urbain. Non, ce que j’y lis est écrit à la verticale et me laisse encore plus perplexe :
« Le but est sans importance, seul compte le chemin » signé : pensée bouddhiste.
Voilà bien le stade le plus confondant auquel je ne sois jamais arrivée. Je vais quand même pas tourner indéfiniment en rond sous prétexte que j’ai appris à lire ! Histoire de me dégourdir les jambes, et de mettre de la distance entre la barre transversale et moi, je me lève et sans trop y réfléchir, je me dirige vers le centre du terrain. Après tout, la solution se trouve peut-être au cœur des choses. Je me place donc au centre du cercle de mise en jeu, et, me servant de pivot, je tourne sur moi-même au moins deux fois dans chaque sens afin d’apprécier cette nouvelle perspective. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins, le stade dans son ensemble, le ciel, je salue tout le monde. Bonjour, bonjour, je suis sur l’axe de cette histoire. Bien sûr, personne ne me répond, bande de malpolis.
C’est en regardant le ciel, allongée dans mon cercle, que me vient une nouvelle idée : les gradins. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Je m’en vais de suite corriger mon point de vue, en m’élevant de ce pas. Je néglige la fosse aux supporters et saute à la volée les escaliers vers les loges VIP, tout en haut. C’est ouvert, je rentre et vais découvrir le panorama derrière la vitre blindée du dernier étage. La pelouse, la piste, les bancs de touche, les gradins qui montent vers le ciel, je salue tout le monde une nouvelle fois. Bonjour, bonjour, je suis au sommet de mon histoire. Personne ne répond mais je m’y attendais : au vu de l’épaisseur du verre, nul ne peut m’entendre.
En descendant tranquillement les marches une à une, je pense :
« Va falloir se débrouiller toute seule », quand j’aperçois un nouveau panneau noté : « Exit »
C’est comme ça que je me sors de cet allégorique palier.
Tout simplement.