Voudriez-vous un peu plus de lumière, Madame ? Cette édition magnifique mérite que l’on puisse parcourir ses pages sans forcer sur les yeux. J’ai remarqué que vous aimiez cet auteur. C’est un excellent choix, si je puis me permettre ce commentaire. Son écriture est une invitation, j’aime particulièrement cette citation : « Mais les mots sont des objets, et une simple goutte d’encre tombant telle la rosée, sur une pensée, produit ce qui fera réfléchir des milliers, voire des millions. ». Je vais ouvrir la fenêtre. M’asseoir avec vous ? Avec plaisir. C’est l’heure du thé, n’est-ce pas ? Je vais aller en chercher, avec des petits gâteaux. Vous aimez ?
Vous êtes étudiante ? Oh, il n’y a pas d’âge vous savez ! Etes-vous alors professeur de littérature ? L’intérêt, Madame, fais parfois le métier. Il en a été comme cela pour moi, je crois. Vous n’êtes pas d’ici, non ? C’est une petite ville. Vous venez vous reposer ? Paris ? Oui, je connais. J’y ai travaillé quelques années. Puis je suis venu, cela fait six années maintenant. Je suis revenue pour cet endroit. Un jour j’ai vu l’annonce dans le journal. Je n’avais aucune expérience de bibliothécaire mais finalement j’ai été la seule candidate. C’est un lieu magnifique, ne trouvez-vous pas ? Je ne parle pas du village, qui a un charme indéniable. Ni même des paysages environnants. Car je vois en vous la visiteuse que j’ai été la première fois. Moi non plus je n’étais pas une touriste. Je ne suis restée qu’une après-midi. Je me souvenais pourtant de tout en revenant. J’étais déjà chez moi parmi les rayonnages. Petit à petit j’ai découvert la vie associée à ma nouvelle situation. Car les ouvrages vivent, voyez-vous. Il y a ceux qui sont beaucoup consultés ; ceux qui sont plutôt empruntés ; ceux qui ne sont jamais ouverts ; ceux qui sont replacés à l’envers, à une autre place ; ceux qui ont une histoire propre, ceux qui en portent les stigmates. Il y a même ceux que je ne connais pas encore.
Oui, je demeure ici même, dans un petit studio, à l’étage. Au début j’avais un logement au village, mais il n’était guère aisé de monter jusque-là pendant l’hiver. Imaginez-vous qu’à cette altitude, il peut parfois tomber un mètre de neige, en une seule nuit ! Comment ? Laisser fermer? Ce n’est pas possible, Madame. C’est dans mon contrat. Je dois ouvrir. C’est mon rôle vous comprenez ? De toute façon, j’ai bientôt pris goût à l’existence in situ. Je m’occupe des livres, ça me prend beaucoup de temps. Je les parcours, je prends soin d’eux, refait les couvertures, les rangent. Je vais les porter à ceux qui ne peuvent se déplacer, je fais la lecture parfois, j’accueille les visiteurs étrangers. Si vous restez, je vous ferai une carte de membre. Vous pourrez emmener ceux marqués d’un point vert. Non, vous avez raison, on ne sait jamais ce que nous réserve l’avenir. Voyez, moi-même, si je n’avais dû attendre qu’on répare ma voiture, je n’aurais jamais mis les pieds en ce lieu. Aurais-je alors posté ma candidature quatre mois plus tard ? Peut-être un jour reviendrez-vous. Et puisque vous êtes là, profitez de notre accueil.
Si je vous ennuie avec mon bavardage, veuillez me pardonner. Comme vous le constatez, les lecteurs viennent surtout le samedi et le mercredi pour les écoliers. Ce qui fait que j’ai peu souvent l’occasion de discuter. D’autre part, vos choix littéraires sont fort inhabituels, je dois avouer que cela m’intrigue. Voisins ? Oh! Vous parlez sûrement d’un voisinage spirituel. Cela m’arrive aussi, avec certains auteurs. On les découvre avec cette impression de les avoir toujours côtoyés. Connaissez-vous le château de Chilon, Madame ? Moi non plus. C’est en Suisse je crois.
Ha ! Voici un visiteur. C’est Monsieur Custos. Lui non plus n’est pas d’ici. Il est arrivé il y a quelques temps. C’est un lecteur assidu, assez étrange. Il parle peu, vient tous les jours à la même heure, prend le livre qui l’intéresse et disparaît aussitôt. Quand je lui ai demandé quel auteur il aimait, il m’a répondu être en quête d’un personnage. C’est original, ne trouvez-vous pas ? Depuis qu’il est arrivé, il consulte toutes les oeuvres, par ordre alphabétique. Il y a peu, il tenait entre ses mains le volume que vous parcourez aujourd’hui. Il en est à la lettre C maintenant. Il vient rendre « Caligula » et j’imagine qu’il lira « La chute » ce soir même. Comment ? Vous devez partir, Madame ? Déjà ? Voyez comme le cours de la vie est curieux. J’espère que vous aurez l’occasion de repasser bientôt. J’ai passé un bon moment avec vous. Adieu, Madame, rentrez bien.
Vous êtes étudiante ? Oh, il n’y a pas d’âge vous savez ! Etes-vous alors professeur de littérature ? L’intérêt, Madame, fais parfois le métier. Il en a été comme cela pour moi, je crois. Vous n’êtes pas d’ici, non ? C’est une petite ville. Vous venez vous reposer ? Paris ? Oui, je connais. J’y ai travaillé quelques années. Puis je suis venu, cela fait six années maintenant. Je suis revenue pour cet endroit. Un jour j’ai vu l’annonce dans le journal. Je n’avais aucune expérience de bibliothécaire mais finalement j’ai été la seule candidate. C’est un lieu magnifique, ne trouvez-vous pas ? Je ne parle pas du village, qui a un charme indéniable. Ni même des paysages environnants. Car je vois en vous la visiteuse que j’ai été la première fois. Moi non plus je n’étais pas une touriste. Je ne suis restée qu’une après-midi. Je me souvenais pourtant de tout en revenant. J’étais déjà chez moi parmi les rayonnages. Petit à petit j’ai découvert la vie associée à ma nouvelle situation. Car les ouvrages vivent, voyez-vous. Il y a ceux qui sont beaucoup consultés ; ceux qui sont plutôt empruntés ; ceux qui ne sont jamais ouverts ; ceux qui sont replacés à l’envers, à une autre place ; ceux qui ont une histoire propre, ceux qui en portent les stigmates. Il y a même ceux que je ne connais pas encore.
Oui, je demeure ici même, dans un petit studio, à l’étage. Au début j’avais un logement au village, mais il n’était guère aisé de monter jusque-là pendant l’hiver. Imaginez-vous qu’à cette altitude, il peut parfois tomber un mètre de neige, en une seule nuit ! Comment ? Laisser fermer? Ce n’est pas possible, Madame. C’est dans mon contrat. Je dois ouvrir. C’est mon rôle vous comprenez ? De toute façon, j’ai bientôt pris goût à l’existence in situ. Je m’occupe des livres, ça me prend beaucoup de temps. Je les parcours, je prends soin d’eux, refait les couvertures, les rangent. Je vais les porter à ceux qui ne peuvent se déplacer, je fais la lecture parfois, j’accueille les visiteurs étrangers. Si vous restez, je vous ferai une carte de membre. Vous pourrez emmener ceux marqués d’un point vert. Non, vous avez raison, on ne sait jamais ce que nous réserve l’avenir. Voyez, moi-même, si je n’avais dû attendre qu’on répare ma voiture, je n’aurais jamais mis les pieds en ce lieu. Aurais-je alors posté ma candidature quatre mois plus tard ? Peut-être un jour reviendrez-vous. Et puisque vous êtes là, profitez de notre accueil.
Si je vous ennuie avec mon bavardage, veuillez me pardonner. Comme vous le constatez, les lecteurs viennent surtout le samedi et le mercredi pour les écoliers. Ce qui fait que j’ai peu souvent l’occasion de discuter. D’autre part, vos choix littéraires sont fort inhabituels, je dois avouer que cela m’intrigue. Voisins ? Oh! Vous parlez sûrement d’un voisinage spirituel. Cela m’arrive aussi, avec certains auteurs. On les découvre avec cette impression de les avoir toujours côtoyés. Connaissez-vous le château de Chilon, Madame ? Moi non plus. C’est en Suisse je crois.
Ha ! Voici un visiteur. C’est Monsieur Custos. Lui non plus n’est pas d’ici. Il est arrivé il y a quelques temps. C’est un lecteur assidu, assez étrange. Il parle peu, vient tous les jours à la même heure, prend le livre qui l’intéresse et disparaît aussitôt. Quand je lui ai demandé quel auteur il aimait, il m’a répondu être en quête d’un personnage. C’est original, ne trouvez-vous pas ? Depuis qu’il est arrivé, il consulte toutes les oeuvres, par ordre alphabétique. Il y a peu, il tenait entre ses mains le volume que vous parcourez aujourd’hui. Il en est à la lettre C maintenant. Il vient rendre « Caligula » et j’imagine qu’il lira « La chute » ce soir même. Comment ? Vous devez partir, Madame ? Déjà ? Voyez comme le cours de la vie est curieux. J’espère que vous aurez l’occasion de repasser bientôt. J’ai passé un bon moment avec vous. Adieu, Madame, rentrez bien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire