Ils avaient commencé le soir, juste en contre bas de l’immeuble. J’avais d’abord cru à un accident, à quelques urgences de l’équipement urbain. Ça avait duré toute la nuit et réveillé tout le monde avant le levé du soleil. On entendait le bruit des engins à moteurs et des ouvriers qui raclaient, soulevaient, trimbalaient, creusaient. De temps en temps un cri, une planche qui tombe. Seuls les phares des machines éclairaient la scène qui en devenaient surréaliste vue de la fenêtre de mon salon. Située au second étage nord je n’avais pu qu’entr’apercevoir le chantier et j’attendais le jour pour descendre mes poubelles afin de mieux voir ce qu’il se passait. Mais quand je m’approchais enfin du site c’était pour me retrouver face aux palissades blanches et rouges montées tout autour.
A mon retour ce soir-là, ça avait encore pris de l’ampleur et il paru bientôt évident qu’ils ne s’arrêteraient pas cette nuit-là non plus. D’ailleurs ils ne s’arrêtèrent plus : les ouvriers se relayaient jour et nuit. Assez mystérieusement on n’en croisait pourtant jamais aucun aux environs. L’ouvrage devint rapidement le sujet de conversation de tout le quartier. Chacun y allait de son hypothèse : c’était une extension du chantier du métro selon le boucher, bien que la station la plus proche se trouva à plus de 600m. A l’épicerie on croyait plutôt à un assainissement du sous-sol en raison de la source qui rejoignait la rivière non loin. La concierge répétait à qui voulait l’entendre qu’ils cherchaient quelque trésor secret enterré là. La majorité, qui avait bientôt opté pour un forage pétrolier, adopta finalement la théorie sur une exploitation minière, dont le matériau justifiant une telle percée en pleine ville demeura sujet de polémique. Deux choses semblaient certaines : ils creusaient en continu et, malgré les nuisances, personne ne paraissait savoir exactement ce dont il s’agissait.
Au bout d’une semaine tout de même, une assemblée d’habitants se présenta à la municipalité pour obtenir des explications. Ils en revinrent avec d’obscurs certificats administratifs issus d’un lointain secrétariat du ministère de la pêche. Certains, férus de langage bureaucratique, nous promettaient d’éclairer la situation. Durant les semaines qui suivirent on n’en entendit plus parler, et quand cela pris l’ampleur que l’on connaît, il s’avéra qu’ils avaient déménagé parmi les premiers. Rapidement, en effet, les environs se dépeuplèrent. Mon immeuble, en première ligne, vit ses résidents fuir en quelques mois. Même la baisse vertigineuse des loyers ne retint pas grand monde. Nous n’étions plus que quatre foyers avant l’évacuation. Au début, les appartements avec vue sur la chose eurent pourtant un peu de succès. Mais cela n’intéressa bientôt plus personne : on n’y voyait que ça, l’immense chantier, les engins, le trou, toujours plus grand, dont on ne percevait pas bien la profondeur en raison de l’épaisse fumée qui s’en dégageait en permanence. Car, outre le bruit constant, auquel on finissait par s’habituer tel un ronronnement familier, c’est surtout cette poussière jaunâtre qui fut le plus grand désagrément de cette époque. Elle s’infiltrait partout. Nous vivions calfeutrés derrière vitres et écharpes. Les jours de grands vent nos silhouettes se perdaient dans ce brouillard, nous ressemblions à ce que nos étions devenu : des fantômes dans une ville abandonnée. Petit à petit, en effet, le trafic des environs s’était fait de plus en plus rare. D’abord en raison des risques de mauvaise visibilité liés au nuage de terre flottant sur tout le voisinage, puis tout simplement par désertion du lieu. Rapidement, les seuls véhicules circulant dans l’ancienne avenue commerçante furent les camions bennes évacuant la terre. Les habitants déménagèrent, les commerces fermèrent, les emplois se délocalisèrent. Le mouvement fut général. De proche en proche tout se vidait. Cette fuite fut globalement silencieuse. Les quelques voix qui s’élevèrent s’atténuèrent les unes après les autres. Personne, pour finir, n’avait rien à y redire.
Quand, sur la façade ouest de mon bâtiment, de grandes fissures s’ouvrirent, je fus contactée par l’agence de location en vue d’un relogement. L’immeuble avait été racheté et devait être détruit. J’obtins ainsi ce magnifique loft en centre ville, pour le prix de mon ancien logement c'est-à-dire dix fois moins cher que le loyer normal. Peu après, une commission sanitaire me versa une confortable prime d’indemnités ainsi qu’une prise en charge complète de mes frais médicaux. Mon journal me proposa une promotion dans le secteur des politiques internationales et dès le printemps suivant, mon premier poste d’envoyée permanente dans une grande ville outre-atlantique.
A mon retour ce soir-là, ça avait encore pris de l’ampleur et il paru bientôt évident qu’ils ne s’arrêteraient pas cette nuit-là non plus. D’ailleurs ils ne s’arrêtèrent plus : les ouvriers se relayaient jour et nuit. Assez mystérieusement on n’en croisait pourtant jamais aucun aux environs. L’ouvrage devint rapidement le sujet de conversation de tout le quartier. Chacun y allait de son hypothèse : c’était une extension du chantier du métro selon le boucher, bien que la station la plus proche se trouva à plus de 600m. A l’épicerie on croyait plutôt à un assainissement du sous-sol en raison de la source qui rejoignait la rivière non loin. La concierge répétait à qui voulait l’entendre qu’ils cherchaient quelque trésor secret enterré là. La majorité, qui avait bientôt opté pour un forage pétrolier, adopta finalement la théorie sur une exploitation minière, dont le matériau justifiant une telle percée en pleine ville demeura sujet de polémique. Deux choses semblaient certaines : ils creusaient en continu et, malgré les nuisances, personne ne paraissait savoir exactement ce dont il s’agissait.
Au bout d’une semaine tout de même, une assemblée d’habitants se présenta à la municipalité pour obtenir des explications. Ils en revinrent avec d’obscurs certificats administratifs issus d’un lointain secrétariat du ministère de la pêche. Certains, férus de langage bureaucratique, nous promettaient d’éclairer la situation. Durant les semaines qui suivirent on n’en entendit plus parler, et quand cela pris l’ampleur que l’on connaît, il s’avéra qu’ils avaient déménagé parmi les premiers. Rapidement, en effet, les environs se dépeuplèrent. Mon immeuble, en première ligne, vit ses résidents fuir en quelques mois. Même la baisse vertigineuse des loyers ne retint pas grand monde. Nous n’étions plus que quatre foyers avant l’évacuation. Au début, les appartements avec vue sur la chose eurent pourtant un peu de succès. Mais cela n’intéressa bientôt plus personne : on n’y voyait que ça, l’immense chantier, les engins, le trou, toujours plus grand, dont on ne percevait pas bien la profondeur en raison de l’épaisse fumée qui s’en dégageait en permanence. Car, outre le bruit constant, auquel on finissait par s’habituer tel un ronronnement familier, c’est surtout cette poussière jaunâtre qui fut le plus grand désagrément de cette époque. Elle s’infiltrait partout. Nous vivions calfeutrés derrière vitres et écharpes. Les jours de grands vent nos silhouettes se perdaient dans ce brouillard, nous ressemblions à ce que nos étions devenu : des fantômes dans une ville abandonnée. Petit à petit, en effet, le trafic des environs s’était fait de plus en plus rare. D’abord en raison des risques de mauvaise visibilité liés au nuage de terre flottant sur tout le voisinage, puis tout simplement par désertion du lieu. Rapidement, les seuls véhicules circulant dans l’ancienne avenue commerçante furent les camions bennes évacuant la terre. Les habitants déménagèrent, les commerces fermèrent, les emplois se délocalisèrent. Le mouvement fut général. De proche en proche tout se vidait. Cette fuite fut globalement silencieuse. Les quelques voix qui s’élevèrent s’atténuèrent les unes après les autres. Personne, pour finir, n’avait rien à y redire.
Quand, sur la façade ouest de mon bâtiment, de grandes fissures s’ouvrirent, je fus contactée par l’agence de location en vue d’un relogement. L’immeuble avait été racheté et devait être détruit. J’obtins ainsi ce magnifique loft en centre ville, pour le prix de mon ancien logement c'est-à-dire dix fois moins cher que le loyer normal. Peu après, une commission sanitaire me versa une confortable prime d’indemnités ainsi qu’une prise en charge complète de mes frais médicaux. Mon journal me proposa une promotion dans le secteur des politiques internationales et dès le printemps suivant, mon premier poste d’envoyée permanente dans une grande ville outre-atlantique.
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