Mélusine était rentrée sur la ligne numéro quatre à peine quelques jours après son seizième anniversaire. Elle n’avait pas changé de poste depuis. D’ailleurs elle n’avait pas changé depuis cinq ans. Le même regard vide, la même lassitude des cheveux, la même démarche indifférente. Les premiers temps, ses collègues avaient vu dans son attitude une forme de rébellion adolescente. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence, Mélusine ne protestait pas, elle ne réclamait rien, n’affirmait ou ne contredisait rien. Quand, lors d’une réunion syndicale, on l’avait questionné ouvertement sur ses aspirations, elle répondit :
- Rien, je ne veux rien. Je suis satisfaite comme cela .
Cela avait provoqué un léger malaise dans l’assistance, puis les conversations avaient repris en écartant le sujet. Depuis, plus personne ne demandait quoique ce soit à Mélusine. Cela semblait lui convenir aussi, elle était de nature peu bavarde.
Tout comme celles de ses collègues, sa vie s’était réglée au rythme de l’usine. Cinq jours durant, elle animait ses mains devant le tapis. Le visage ni concentré ni distrait, impassible. Tous les matins elle se levait à 7h, prenait un café noir puis le bus n°94 de 7h32. Le soir elle rentrait par celui de 16h43 et allait s’allonger en attendant l’heure de passer à table. Le samedi pour les courses, le dimanche la lessive.
Etait-ce de porter le nom d’une fée au triste destin amoureux ? Mélusine n’était pas portée sur les garçons, les problèmes amoureux ni même les pulsions sexuelles. Mélusine ne lisait pas, ne regardait pas la télé, ne s’intéressait pas à la mode, à la politique ou l’environnement. Mélusine vivait en fonction économique depuis toujours semblait-il.