Elle était simplement assise dans son salon. Sur le canapé en tissu avec napperons sur les accoudoirs, et derrières les têtes, pour pas salir. Elle était bien droite, les deux mains sur les genoux serrés, dans le silence de la maison. Le tic tac de l’intemporelle horloge sur la cheminée résonnait fort son écoulement. Elle pensait à ça, le temps, devant la télé éteinte. La compagne marque heures. L’écran de la programmation régulière et rassurante. 13 heures le journal, 18h questions pour un champion suivi des infos régionales. A bien y regarder, elle s’y connaissait en actualité. Ce qui se passe. Dehors. Parce que dedans bien sûr, rien ne se passe. Chaque jour identique à l’autre, prévisible, venant engloutir le jour d’avant, en gardien du possible.
Elle pensait à ça, le temps, sur son beau canapé blanc. N’était-ce pas cela qu’elle avait espéré, finalement ? La dilution ? Présumer vieillir pour que chaque jour ait moins d’importance. Attendre que le prix du cri chute avec l’âge ; qu’après le millième, ils prennent une autre dimension. Présumer qu’une larme devienne moins particulière, en intégrant la marée salée recouvrant nos plages de vie. Les visages effacés dans le brumeux passé, les sentiments délayés dans les flots continus d’événements. Attentat du world trade center. Mise à la retraire. Guerre d’Irak. La petite dernière s’en va. Chute du mur de Berlin. Arthur part avec une jeune de 19 ans. Abolition de la peine de mort. Naissance de la cadette. Le Torrey Canyon se répand en marée infâme. Mariage en blanc et à l’église. En définitive, même sans visage, l’histoire, la grande et les petites mêlées, s’accroche dur. Non, avec le temps tout ne s’en va pas. Il reste encore trop, au goût de pas assez, longtemps après. Et si on n’arrivait jamais à oublier ? Ou pire, si on oubliait mais que ça ne changeait rien ? Et si les 20 dernières années d’absence n’avaient servi à rien ? Comme prévu, d’ailleurs. C’est tragiquement drôle. Elles ont rempli leur office de rien. Jusqu’au bout. Admirablement. Le rien ne sert à rien. Et il faut environ 2 décennies pour s’en rendre compte, un jour comme les autres, dans le salon.
Tic tac. Elle pensait à ça, le temps, à côté de la petite horloge dorée de chez Daxon. Le temps qui s’entasse, d’accord. Mais le temps qui fui, aussi. Combien de temps lui restait-il maintenant ? Cinq ? Dix ans ? Avant d’être complètement vide. Avant d’être sclérosée par la vieillesse rigide. Avant d’être totalement dilapidée, comme son temps de vie. Tout est passé si vite. Lentement inéluctable, régulièrement conditionnel. Et si vite, si tôt. Sa vie familiale, son rôle économique et social, et bientôt son propre corps : tout s’échappait. Et pire, il était vain de le retenir. Vain de feindre l’identique quand tout changeait chaque seconde. Comme il était vain de s’être assise, tous les soirs de semaine, sur son canapé trois places, devant la table basse où s’étalaient les revues périmées comme de vieux poissons échoués là, attendant la décomposition.
Il est temps, se disait elle, en serrant ses poings sur ses genoux calleux. Grand temps de donner de la valeur au temps. De se faire des souvenirs, mulitcolores et précieux. De mettre sur chaque jour une particularité, une saveur même éphémère. Temps de changer les horloges et les calendriers en midis de la France et en nouvel an festifs. Temps de partager son temps, d’offrir le temps, de le disperser comme autant de graines de pois de senteur, en jardinier exubérant. Car après tout, justement, il n’y a rien. Plus rien à perdre. Que le temps.
Elle se leva. Monta au grenier. Et prit la vieille valise brune que l’aîné avait pour son séjour linguistique à Londres. C’était il y a longtemps. Bien avant de rencontrer son épouse Romaine. Quand il ne savait pas encore qu’il lui offrirait trois petits fils Italiens. Il y avait déjà quelques autocollants. Elle se dit qu’elle rajouterait les siens. Comme seule mesure de sa trajectoire, balisée des êtres qu’elle rejoignait. Dans la vie.
Elle pensait à ça, le temps, sur son beau canapé blanc. N’était-ce pas cela qu’elle avait espéré, finalement ? La dilution ? Présumer vieillir pour que chaque jour ait moins d’importance. Attendre que le prix du cri chute avec l’âge ; qu’après le millième, ils prennent une autre dimension. Présumer qu’une larme devienne moins particulière, en intégrant la marée salée recouvrant nos plages de vie. Les visages effacés dans le brumeux passé, les sentiments délayés dans les flots continus d’événements. Attentat du world trade center. Mise à la retraire. Guerre d’Irak. La petite dernière s’en va. Chute du mur de Berlin. Arthur part avec une jeune de 19 ans. Abolition de la peine de mort. Naissance de la cadette. Le Torrey Canyon se répand en marée infâme. Mariage en blanc et à l’église. En définitive, même sans visage, l’histoire, la grande et les petites mêlées, s’accroche dur. Non, avec le temps tout ne s’en va pas. Il reste encore trop, au goût de pas assez, longtemps après. Et si on n’arrivait jamais à oublier ? Ou pire, si on oubliait mais que ça ne changeait rien ? Et si les 20 dernières années d’absence n’avaient servi à rien ? Comme prévu, d’ailleurs. C’est tragiquement drôle. Elles ont rempli leur office de rien. Jusqu’au bout. Admirablement. Le rien ne sert à rien. Et il faut environ 2 décennies pour s’en rendre compte, un jour comme les autres, dans le salon.
Tic tac. Elle pensait à ça, le temps, à côté de la petite horloge dorée de chez Daxon. Le temps qui s’entasse, d’accord. Mais le temps qui fui, aussi. Combien de temps lui restait-il maintenant ? Cinq ? Dix ans ? Avant d’être complètement vide. Avant d’être sclérosée par la vieillesse rigide. Avant d’être totalement dilapidée, comme son temps de vie. Tout est passé si vite. Lentement inéluctable, régulièrement conditionnel. Et si vite, si tôt. Sa vie familiale, son rôle économique et social, et bientôt son propre corps : tout s’échappait. Et pire, il était vain de le retenir. Vain de feindre l’identique quand tout changeait chaque seconde. Comme il était vain de s’être assise, tous les soirs de semaine, sur son canapé trois places, devant la table basse où s’étalaient les revues périmées comme de vieux poissons échoués là, attendant la décomposition.
Il est temps, se disait elle, en serrant ses poings sur ses genoux calleux. Grand temps de donner de la valeur au temps. De se faire des souvenirs, mulitcolores et précieux. De mettre sur chaque jour une particularité, une saveur même éphémère. Temps de changer les horloges et les calendriers en midis de la France et en nouvel an festifs. Temps de partager son temps, d’offrir le temps, de le disperser comme autant de graines de pois de senteur, en jardinier exubérant. Car après tout, justement, il n’y a rien. Plus rien à perdre. Que le temps.
Elle se leva. Monta au grenier. Et prit la vieille valise brune que l’aîné avait pour son séjour linguistique à Londres. C’était il y a longtemps. Bien avant de rencontrer son épouse Romaine. Quand il ne savait pas encore qu’il lui offrirait trois petits fils Italiens. Il y avait déjà quelques autocollants. Elle se dit qu’elle rajouterait les siens. Comme seule mesure de sa trajectoire, balisée des êtres qu’elle rejoignait. Dans la vie.
1 commentaire:
Encore un texte magnifique.
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